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La Conciergerie
Le 08/05/2011
L'histoire de la Conciergerie se confond, jusqu'à la seconde partie du XIVe, avec celle du
palais de la Cité. Lorsque Charles V décide de quitter le palais pour l'hôtel Saint-Pol, il y
maintient son administration (Parlement, Chancellerie, Chambre des comptes), et il nomme un
concierge. Alors débute l'histoire de la prison de la Conciergerie, du nom donné d'abord au
logement du concierge, personnage important, véritable intendant du roi, ayant de nombreux pouvoirs
et privilèges.
Après la chute de la monarchie, le Tribunal révolutionnaire, créé par la Convention en
1793, fait sienne la prison de la Conciergerie. Le redoutable Fouquier-Tinville y assure la tâche
d'accusateur public. En deux ans, plus de 2 700 personnes condamnées à mort vécurent leurs derniers
moments à la Conciergerie : beaucoup d'anonymes, quelques aristocrates, des savants, des lettrés…
parmi lesquels les plus célèbres sont la reine Marie-Antoinette, le poète André Chénier, les 21
députés girondins déclarés coupables de conspiration contre la République et Robespierre, l'homme
de la Terreur…
Le XIXe siècle verra lui aussi se succéder nombre de prisonniers, parmi lesquels le
général chouan Cadoudal, le maréchal Ney, le prince Napoléon et les anarchistes Orsini et Ravachol…
En 1914, la Conciergerie, classée monument historique, cesse d'être une prison. Elle est, depuis,
ouverte au public.
Témoin de l'architecture civile médiévale
La construction de la Conciergerie a été réalisée par Philippe le Bel, petit-fils de saint
Louis, qui fit remodeler et agrandir le palais de la Cité. De cette époque subsiste encore la salle
des gardes, la salle des gens d'armes et la rue de Paris, qui constituent l'un des plus beaux
exemples de l'architecture civile médiévale. Subsistent également les trois tours rondes qui
ponctuent la façade de la Conciergerie : la tour de César, ainsi nommée en souvenir de la présence
romaine ; la tour d'argent, allusion au trésor royal qui y aurait été gardé ; la tour Bonbec, qui
doit son nom au fait qu'elle contenait la salle où était pratiquée la "question" (la torture), qui
faisait avouer les suppliciés.
Vers 1350, le roi Jean le Bon entreprit de nouveaux travaux, faisant réaliser les cuisines et,
à l'angle nord-est du palais, une tour de guet rectangulaire, nommée tour de l'horloge, car la
première horloge publique du pays y était installée. Cette horloge fut remplacée, en 1585, par
celle de Germain Pilon, toujours en place, un chef-d'œuvre au cadran coloré, encadré des allégories
de la Loi et de la Justice.
Incendies et dégradations ont profondément modifié l'aspect du palais de la Conciergerie. Le
XIXe siècle, en sacrifiant certains bâtiments, en en sauvant d'autres et en créant des quais autour
de l'île de la Cité, en a modifié l'approche. Mais qu'on imagine ce qu'était la grand-salle du
premier étage (aujourd'hui salle des Pas-Perdus du Palais de justice) : une salle immense,
supportée par une file de piliers qui la séparait en deux nefs couvertes de berceaux lambrissés.
Murs et piliers étaient ornés de statues représentant des rois de France. Dans ce lieu officiel se
trouvait la table de marbre où le roi siégeait lors des réceptions et des lits de justice.
Salles médiévales
La salle des gardes fut édifiée vers 1310 par Philippe IV le Bel et servait d'antichambre au
rez-de-chaussée de la grand-salle où le roi tenait son "lit de justice" et où siégea le Tribunal
révolutionnaire du 2 avril 1793 au 31 mai 1795. Trois piliers divisent le volume en deux nefs de
quatre travées voûtées d'ogives. Les chapiteaux du pilier central présentent des bas-reliefs dont
l'un figure, pense-t-on, Héloïse et Abélard.
Le volume de la salle des gens d'armes est exceptionnel : longue de 64 mètres, large de 27,5
mètres et haute de 8,5 mètres à la clé, elle fut édifiée entre 1302 et 1313 par Enguerrand de
Marigny. Elle servait de réfectoire aux très nombreux personnels, environ 2 000 personnes employées
au service du roi. Quatre vastes cheminées assuraient le chauffage de la salle des gens d'armes,
qui était alors largement éclairée par de nombreuses fenêtres. Sur le mur sud subsiste un important
fragment de la Table de marbre noir, autrefois placée dans la grande salle haute. Utilisée pour les
festins royaux, elle fut le siège de différents tribunaux.
Construit au début du règne de Jean le Bon, le pavillon carré des cuisines était destiné au
"commun" de l'hôtel du roi. Seul subsiste le niveau bas, voûté d'ogives et comportant quatre
cheminées d'angle de dimensions royales. Chacune des quatre cheminées avait une ou plusieurs
affectations particulières (consommés, volailles, viandes…) et ses cuisiniers propres. Les quatre
travées ouest de la salle des gens d'armes, dénommées rue de Pontis, furent isolées du reste de la
salle par des grilles et par un mur. A la Révolution, elles furent tristement baptisées du surnom
du bourreau, "Monsieur de Paris". Ces quatre travées accueillirent les "pailleux", prisonniers sans
ressources, ne pouvant loger "à la pistole".
La prison révolutionnaire
Le couloir des prisonniers était l'axe principal de la prison, dans lequel les détenus
circulaient à leur guise. Le bureau du greffier est la reconstitution de la pièce où l'on
inscrivait, dès leur arrivée, les noms des détenus sur les registres.
Véritable gouverneur, le concierge, fonction instaurée au XIVe siècle, organisait la sécurité
et l'approvisionnement de la prison. Les condamnés passaient par la salle de la toilette, où ils
étaient dépouillés de leurs objets personnels, puis menés dans la cour du Mai, où les attendaient
les charrettes pour les conduire aux lieux du supplice.
La petite chapelle royale, dite chapelle des Girondins, existait déjà au Moyen Age et fut
restaurée et modifiée en 1776. La tradition y situe le lieu dans lequel les 21 députés girondins
attendirent la mort dans la nuit du 29 au 30 octobre 1793. La chapelle de Marie-Antoinette fut
construite, conformément aux intentions de Louis XVIII, à l'emplacement même de la cellule de la
reine, qui fut alors coupée par un mur : la moitié ouest fut réunie à la chapelle par un local où
la tradition situe les dernières heures de Robespierre.
Entourée de cellules dont le confort variait suivant les possibilités pécuniaires des
détenues, la cour des Femmes possède encore la fontaine où elles lavaient leur linge, l'une des
tables de pierre sur lesquelles elles pouvaient manger et le "coin des douze", où les hommes
pouvaient, à travers les grilles, converser avec les femmes. La reconstitution de la cellule de
Marie-Antoinette a été faite pour moitié sur l'authentique cellule de la reine et pour moitié sur
la travée contiguë à l'est. Un paravent la séparait des gendarmes assurant sa surveillance.
Au premier étage, dans une première salle, à gauche, est affichée la liste des guillotinés
incarcérés à la Conciergerie. Le "quartier des prisonniers" reconstitue une série de cachots tels
qu'ils se présentaient sous la Révolution : celui "des pailleux" ; celui des "pistoliers" ; celui,
enfin, des "personnages de marque". Dans les salles voisines, documents, gravures et textes
autographes évoquent cinq siècles et demi de vie carcérale à la Conciergerie.
"L'Hôtel de Ville est un édifice sinistre."(chap.XXXVII)
Le 08/05/2011
le cachot du Condamné à Bicêtre
Le 12/05/2011
le friauche
Le 02/04/2017
Je ne sais à quoi je pensais, ni depuis combien de temps j'étais là, quand un brusque et violent éclat de rire à mon oreille m'a réveillé de ma rêverie.
J'ai levé les yeux en tressaillant. Je n'étais plus seul dans la cellule. Un homme s'y trouvait avec moi, un homme d'environ cinquante-cinq ans, de moyenne taille ; ridé, voûté, grisonnant ; à membres trapus ; avec un regard louche dans des yeux gris, un rire amer sur le visage ; sale, en guenilles, demi-nu, repoussant à voir.
Il paraît que la porte s'était ouverte, l'avait vomi, puis s'était refermée sans que je m'en fusse aperçu. Si la mort pouvait venir ainsi !
Nous nous sommes regardés quelques secondes fixement, l'homme et moi ; lui, prolongeant son rire qui ressemblait à un râle ; moi, demi-étonné, demi-effrayé.
- Qui êtes-vous ? lui ai-je dit enfin.
- Drôle de demande ! a-t-il répondu. Un friauche.
- Un friauche ! Qu'est-ce que cela veut dire ?
Cette question a redoublé sa gaieté.
- Cela veut dire, s'est-il écrié au milieu d'un éclat de rire, que le taule jouera au panier avec ma sorbonne dans six semaines, comme il va faire avec ta tronche dans six heures. Ha ! ha ! il paraît que tu comprends maintenant.
En effet, j'étais pâle, et mes cheveux se dressaient. C'était l'autre condamné, le condamné du jour, celui qu'on attendait à Bicêtre, mon héritier.
Il a continué :
- Que veux-tu ? voilà mon histoire à moi. Je suis fils d'un bon pègre ; c'est dommage que Charlota ait pris la peine un jour de lui attacher sa cravate. C'était quand régnait la potence, par la grâce de Dieu. À six ans, je n'avais plus ni père ni mère ; l'été, je faisais la roue dans la poussière au bord des routes, pour qu'on me jetât un sou par la portière des chaises de poste ; l'hiver j'allais pieds nus dans la boue en soufflant dans mes doigts tout rouges ; on voyait mes cuisses à travers mon pantalon. A neuf ans, j'ai commencé à me servir de mes louches, de temps en temps je vidais une fouillouse, je filais une pelure ; à dix ans, j'étais un marlou. Puis j'ai fait des connaissances ; à dix-sept, j'étais un grinche. Je forçais une boutanche, je faussais une tournante. On m'a pris. J'avais l'âge, on m'a envoyé ramer dans la petite marine. Le bagne, c'est dur ; coucher sur une planche, boire de l'eau claire, manger du pain noir, traîner un imbécile de boulet qui ne sert à rien ; des coups de bâton et des coups de soleil. Avec cela on est tondu, et moi qui avais de beaux cheveux châtains ! N'importe !... j'ai fait mon temps. Quinze ans, cela s'arrache ! J'avais trente-deux ans. Un beau matin on me donna une feuille de route et soixante-six francs que je m'étais amassés dans mes quinze ans de galères, en travaillant seize heures par jour, trente jours par mois, et douze mois par année. C'est égal, je voulais être honnête homme avec mes soixante-six francs, et j'avais de plus beaux sentiments sous mes guenilles qu'il n'y en a sous une serpillière de ratichon. Mais que les diables soient avec le passeport ! Il était jaune, et on avait écrit dessus forçat libéré. Il fallait montrer cela partout où je passais et le présenter tous les huit jours au maire du village où l'on me forçait de tapiquer. La belle recommandation ! un galérien ! Je faisais peur, et les petits enfants se sauvaient, et l'on fermait les portes. Personne ne voulait me donner d'ouvrage. Je mangeai mes soixante-six francs. Et puis il fallut vivre. Je montrai mes bras bons au travail, on ferma les portes. J'offris ma journée pour quinze sous, pour dix sous, pour cinq sous. Point. Que faire ? Un jour, j'avais faim. Je donnai un coup de coude dans le carreau d'un boulanger ; j'empoignai un pain, et le boulanger m'empoigna ; je ne mangeai pas le pain, et j'eus les galères à perpétuité, avec trois lettres de feu sur l'épaule.-Je te montrerai, si tu veux.- On appelle cette justice-là la récidive. Me voilà donc cheval de retour. On me remit à Toulon ; cette fois avec les bonnets verts. Il fallait m'évader. Pour cela, je n'avais que trois murs à percer deux chaînes à couper, et j'avais un clou. Je m'évadai. On tira le canon d'alerte ; car, nous autres, nous sommes, comme les cardinaux de Rome, habillés de rouge, et on tire le canon quand nous partons. Leur poudre alla aux moineaux. Cette fois, pas de passeport jaune, mais pas d'argent non plus. Je rencontrai des camarades qui avaient aussi fait leur temps ou cassé leur ficelle. Leur coire me proposa d'être des leurs, on faisait la grande soulasse sur le trimar. J'acceptai, et je me mis à tuer pour vivre. C'était tantôt une diligence, tantôt une chaise de poste, tantôt un marchand de bœufs à cheval. On prenait l'argent, on laissait aller au hasard la bête ou la voiture, et l'on enterrait l'homme sous un arbre, en ayant soin que les pieds ne sortissent pas ; et puis on dansait sur la fosse, pour que la terre ne parût pas fraîchement remuée. J'ai vieilli comme cela, gîtant dans les broussailles, dormant aux belles étoiles, traqué de bois en bois, mais du moins libre et à moi. Tout a une fin, et autant celle-là qu'une autre. Les marchands de lacets, une belle nuit, nous ont pris au collet. Mes fanandels se sont sauvés ; mais moi, le plus vieux, je suis resté sous la griffe de ces chats à chapeaux galonnés. On m'a amené ici. J'avais déjà passé par tous les échelons de l'échelle, excepté un. Avoir volé un mouchoir ou tué un homme, c'était tout un pour moi désormais ; il y avait encore une récidive à m'appliquer. Je n'avais plus qu'à passer par le faucheur. Mon affaire a été courte. Ma foi, je commençais à vieillir et à n'être plus bon à rien. Mon père a épousé la veuve , moi je me retire à l'abbaye de Mont-à-Regret. Voilà, camarade.
J'étais resté stupide en l'écoutant. Il s'est remis à rire plus haut encore qu'en commençant, et a voulu me prendre la main. J'ai reculé avec horreur.
- L'ami, m'a-t-il dit, tu n'as pas l'air brave. Ne va pas faire le singe devant la carline. Vois-tu, il y a un mauvais moment à passer sur la placarde ; mais cela est sitôt fait ! Je voudrais être là pour te montrer la culbute. Mille dieux ! j'ai envie de ne pas me pourvoir, si l'on veut me faucher aujourd'hui avec toi. Le même prêtre nous servira à tous deux ; ça m'est égal d'avoir tes restes. Tu vois que je suis un bon garçon.
Hein ! dis, veux-tu ? d'amitié !
Il a encore fait un pas pour s'approcher de moi.
- Monsieur, lui ai-je répondu en le repoussant, je vous remercie.
Nouveaux éclats de rire à ma réponse.
- Ah ! ah ! monsieur, vousailles êtes un marquis ! C'est un marquis !
Je l'ai interrompu :
- Mon ami, j'ai besoin de me recueillir laissez-moi.
La gravité de ma parole l'a rendu pensif tout à coup. Il a remué sa tête grise et presque chauve ; puis, creusant avec ses ongles sa poitrine velue, qui s'offrait nue sous sa chemise ouverte :
- Je comprends, a-t-il murmuré entre ses dents ; au fait, le sanglier !...
Puis, après quelques minutes de silence :
- Tenez, m'a-t-il dit presque timidement, vous êtes un marquis, c'est fort bien ; mais vous avez là une belle redingote qui ne vous servira plus à grand-chose ! Le taule la prendra. Donnez-la-moi, je la vendrai pour avoir du tabac.
J'ai ôté ma redingote et je la lui ai donnée. Il s'est mis à battre des mains avec une joie d'enfant. Puis, voyant que j'étais en chemise et que je grelottais :
-Vous avez froid, monsieur, mettez ceci ; il pleut, et vous seriez mouillé ; et puis il faut être décemment sur la charrette.
En parlant ainsi, il ôtait sa grosse veste de laine grise et la passait dans mes bras. Je le laissais faire.
Alors j'ai été m'appuyer contre le mur et je ne saurais dire quel effet me faisait cet homme. Il s'était mis à examiner la redingote que je lui avais donnée, et poussait à chaque instant des cris de joie.
- Les poches sont toutes neuves ! le collet n'est pas usé ! J'en aurai au moins quinze francs. Quel bonheur ! du tabac pour mes six semaines !
La porte s'est rouverte. On venait nous chercher tous deux ; moi, pour me conduire à la chambre où les condamnés attendent l'heure ; lui, pour le mener à Bicêtre. Il s'est placé en riant au milieu du piquet qui devait l'emmener, et il disait aux gendarmes :
- Ah ça ! ne vous trompez pas ; nous avons changé de pelure, monsieur et moi ; mais ne me prenez pas à sa place. Diable ! cela ne m'arrangerait pas, maintenant que j'ai de quoi avoir du tabac ! (…) »
Marie, la pauvre orpheline!
Le 09/04/2017
XLIII
Elle est fraîche, elle est rose, elle a de grands yeux, elle est belle !
On lui a mis une petite robe qui lui va bien.
Je l'ai prise, je l'ai enlevée dans mes bras, je l'ai assise sur mes genoux, je l'ai baisée sur ses cheveux.
Pourquoi pas avec sa mère ? - Sa mère est malade, sa grand mère aussi. C'est bien.
Elle me regardait d'un air étonné ; caressée, embrassée, dévorée de baisers et se laissant faire mais jetant de temps en temps un coup d'œil inquiet sur sa bonne, qui pleurait dans le coin.
Enfin j'ai pu parler.
- Marie ! ai-je dit, ma petite Marie !
Je la serrais violemment contre ma poitrine enflée de sanglots. Elle a poussé un petit cri.
- Oh ! vous me faites du mal, monsieur m'a-t-elle dit.
Monsieur ! il y a bientôt un an qu'elle ne m'a vu, la pauvre enfant. Elle m'a oublié, visage, parole, accent ; et puis, qui me reconnaîtrait avec cette barbe, ces habits et cette pâleur ? Quoi ! déjà effacé de cette mémoire, la seule où j'eusse voulu vivre !
Quoi ! déjà plus père ! être condamné à ne plus entendre ce mot, ce mot de la langue des enfants, si doux qu'il ne peut rester dans celle des hommes : papa !
Et pourtant l'entendre de cette bouche, encore une fois, une seule fois, voilà tout ce que j'eusse demandé pour les quarante ans de vie qu'on me prend.
- Écoute, Marie, lui ai-je dit en joignant ses deux petites mains dans les miennes, est-ce que tu ne me connais point ?
Elle m'a regardé avec ses beaux yeux, et a répondu :
- Ah bien non !
- Regarde bien, ai-je répété. Comment, tu ne sais pas qui je suis ?
- Si, a-t-elle dit. Un monsieur.
Hélas ! n'aimer ardemment qu'un seul être au monde, l'aimer avec tout son amour, et l'avoir devant soi, qui vous voit et vous regarde, vous parle et vous répond, et ne vous connaît pas ! Ne vouloir de consolation que de lui, et qu'il soit le seul qui ne sache pas qu'il vous en faut parce que vous allez mourir !
- Marie, ai-je repris, as-tu un papa ?
- Oui, monsieur, a dit l'enfant.
- Eh bien, où est-il ?
Elle a levé ses grands yeux étonnés.
- Ah ! vous ne savez donc pas ? il est mort.
Puis elle a crié ; j'avais failli la laisser tomber.
-Mort ! disais-je. Marie, sais-tu ce que c'est qu'être mort ?
- Oui, monsieur, a-t-elle répondu. Il est dans la terre et dans le ciel.
Elle a continué d'elle-même :
- Je prie le bon Dieu pour lui matin et soir sur les genoux de maman.
Je l'ai baisée au front.
- Marie, dis-moi ta prière.
- Je ne peux pas, monsieur. Une prière, cela ne se dit pas dans le jour Venez ce soir dans ma maison ; je la dirai. C'était assez de cela. Je l'ai interrompue.
- Marie, c'est moi qui suis ton papa.
- Ah ! m'a-t-elle dit.
J'ai ajouté :
- Veux-tu que je sois ton papa ? L'enfant s'est détournée.
- Non, mon papa était bien plus beau.
Je l'ai couverte de baisers et de larmes. Elle a cherché à se dégager de mes bras en criant :
- Vous me faites mal avec votre barbe.
Alors, je l'ai replacée sur mes genoux, en la couvant des yeux, et puis je l'ai questionnée.
- Marie, sais-tu lire ?
- Oui, a-t-elle répondu. Je sais bien lire. Maman me fait lire mes lettres.
-Voyons, lis un peu, lui ai-je dit en lui montrant un papier qu'elle tenait chiffonné dans une de ses petites mains.
Elle a hoché sa jolie tête.
- Ah bien ! je ne sais lire que des fables.
- Essaie toujours. Voyons, lis.
Elle a déployé le papier, et s'est mise à épeler avec son doigt :
- A, R, ar R, E, T, rêt, ARRET...
Je lui ai arraché cela des mains. C'est ma sentence de mort qu'elle me lisait. Sa bonne avait eu le papier pour un sou. Il me coûtait plus cher, à moi.
Il n'y a pas de paroles pour ce que j'éprouvais. Ma violence l'avait effrayée ; elle pleurait presque. Tout à coup elle m'a dit :
- Rendez-moi donc mon papier, tiens ! c'est pour jouer .
Je l'ai remise à sa bonne.
- Emportez-la.
Et je suis retombé sur ma chaise, sombre, désert, désespéré. À présent ils devraient venir ; je ne tiens plus à rien ; la dernière fibre de mon cœur est brisée.
Je suis bon pour ce qu'ils vont faire.