hicham-berhil
le personnage de Créon
Le 10/02/2010
Créon, « bourreau » d’Antigone, a mauvaise réputation. Il gagne pourtant à être connu, car c’est un homme d’Etat efficace, consciencieux, digne de l’estime des honnêtes gens. Si la princesse est impulsive, tourmentée par les sentiments inavoués, le roi au contraire se montre plein de bon sens, d’équilibre et de fermeté. Antigone refuse la vie, Créon l’accepte, non par lâcheté, mais parce qu’il trouve admirable. Il essaye de convaincre sa nièce en lui faisant contempler l’ordre éternel de la nature :
«Tu imagines un monde où les arbres aussi auraient dit non
contre la sève, où les bêtes auraient dit non contre
l'instinct de la chasse ou de l'amour ? Les bêtes, elles au
moins, elle sont bonnes et simples et dures. Elles vont, se
poussant les unes après les autres, courageusement, sur le
même chemin. Et si elles tombent, les autres passent et il
peut s'en perdre autant que l'on veut, il en restera toujours
une de chaque espèce prête à refaire des petits et à
reprendre le même chemin avec le même courage, toute
pareille à celles qui sont passées avant.»
Créon estime que la conservation de l’espèce est plus importante que le bonheur des individus. La destinée de l’espèce est plus grandiose, tandis que le rôle des individus est médiocre, éphémère, comme la place qu’ils occupent dans le temps et dans l’espace. L’individu doit donc se contenter de joies à sa mesure, c’est-à-dire infimes. Le bonheur, d’après Créon, c’«est un livre qu’on aime, c’est un enfant qui joue à vos pieds, un outil qu’on tient bien dans sa main, un banc pour se reposer le soir devant sa maison ».
Sa philosophie politique part du même principe que sa morale personnelle ; comme l’espèce,
Et pourtant ce philosophe couronné méprise la masse : «Les brutes que je gouverne », voilà comme il désigne ses concitoyens. Il possède l’art de remuer les foules par des sentiments élémentaires ; c’est ainsi qu’il invente la fable d’Etéocle et Polynice, à laquelle il se garde bien de croire. «-Il faut que cela pue le cadavre de Polynice dans toute la ville, pendant un mois-» ; le peuple est traité comme un animal domestique, à qui l’on fait respirer une ordure, par représailles ou par menace. En revanche, Etéocle, héros postiche, aura l’honneur de funérailles nationales, destinées à encourager les citoyens dévoués au gouvernement établi.
Après
Parlant et agissant avec pondération, il se montre humain. Pourtant, objectera-t-on, il fait exécuter Antigone. En réalité, il a tout tenté pour sauver sa nièce. Assuré du silence de la police, il demande seulement à la jeune fille de ne pas récidiver. Il lui promet un prompt mariage avec Hémon, il dépense des trésors d’éloquence, il lui livre même des secrets d’Etat pour la réconcilier avec la vie. Car il éprouve à son égard une affection paternelle ; ne lui rappelle-t-il pas qu’il lui a fait cadeau de sa première poupée, il n’y a pas si longtemps ? S’il hésite à sévir, c’est aussi parce qu’il est un vrai chef de gouvernement, qui frappe quand il le faut, mais pas plus qu’il ne faut. Pour que son règne soit long et pacifique, il évite de faire couler le sang et les larmes ; Cependant, après une lutte désespérée, il se résouts à livrer Antigone à la mort ; la sentence était fatale pour deux raisons. D’abord, la jeune fille a crié ce qu’elle a fait, Thèbes l’a entendue, les lois de
«Aucun de nous n'était assez fort pour la décider à vivre. Je le comprends,
maintenant, Antigone était faite pour être morte. Elle-même ne le savait peut-être pas, mais Polynice n'était qu'un prétexte. Quand elle a dû y renoncer, elle a trouvé autre chose tout de suite. Ce qui importait pour elle, c'était de refuser et de mourir.»
Créon est le seul qui ait compris Antigone !
Ainsi la pièce au programme est une tragédie moderne, tant par la psychologie des personnages que par les idées politiques qu’elle développe. Créon-puisque c’est lui qui nous intéresse dans cet article- n’est pas un tyran antique, comme Pyrrhus ou Néron, encore moins un monarque de droit divin, ou un dictateur fasciste. C’est un autocrate de notre temps, nous dirions volontiers un technocrate, gérant les affaires de l’Etat comme un grand patron gère une grande usine.
Comme pièce qui véhicule des idées universelles, Antigone de Jean Anouilh présente Créon comme le parangon de ceux qui acceptent la vie avec toutes ses conséquences…
Le personnage de Hémon dans la pièce de Jean Anouilh
Le 18/03/2010
Le remodelage auquel se livre Jean Anouilh s’opère à de nombreux niveaux. Celui qui m’intéresse, dans cet article, concerne le personnage de Hémon.
Comme nous le savons, les dramaturges classiques dotent leurs jeunes personnages de courage, de ténacité et de virtuosité mentale. L’auteur de notre pièce a un regard froid sur son jeune personnage masculin ; son Hémon est un être moyen en tout, terrifié par la solitude, terrifié d’être complètement adulte. Il supplie le roi de Thèbes de continuer à être son père, son protecteur, celui qui le sauve des cauchemars. Il est dans l’impossibilité de se déprendre de son autorité ; son admiration l’étouffe et c’est là même où réside son « malheur » : il ne voit, ne respire, ne pense que par lui. Il ne veut pas s’émanciper et devenir un homme.
Créon ne peut que constater cette mollesse et c’est pour cela qu’il lui lance ce : «Regarde-moi, c'est cela devenir un homme, voir le visage de son père en face, un jour.» assez brutal.
En effet, nous ne pouvons parler du jeune prince héritier sans aborder le thème de l’infantilité qui le marque ; quand il se tourne vers son père, à la fin de la pièce, et dans l’horreur de la chambre mortuaire, le messager n’oublie pas de noter qu’ «il n'a jamais tant ressemblé au petit garçon d'autrefois ».
Et s’il perd son plaidoyer en faveur de sa fiancé devant le roi, c’est parce qu’il n’est pas encore prêt pour régner sur Thèbes ; c’est un imbécile ( dans le sens premier du terme : « dont la nature n’est pas adaptée aux affaires du monde »)Pour régner, il faut grandir, autrement dit devenir courageux et voir les choses en face.
Le seul mouvement qui soit permis au fiancé d’Antigone est de fuir ce père à la fois omniprésent et omnipotent après avoir découvert soudainement ce que veut dire passer de l’enfance à la maturité et la souffrance qui accompagne ce passage ; la fin de l’enfance le surprend et c’est ce qui le met dans un état panique : il appelle cela la «nudité».
Ce n’est donc pas étonnant s’il se suicide lui-aussi à la fin de la tragédie.
Antigone et la nature
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...la Nourrice...
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la pelle d'Antigone
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