hicham-berhil
les outils d'analyse : exercices à faire
Le 12/11/2010
Répondez aux questions suivantes.
(N.B N'oubliez pas que vous allez rendre le travail la première séance.)
1- Identifiez les figures de style
a- « mais le laitier, un avaricieux, un disciple de Satan, refusa de lui en offrir »(193)
b- « des yeux pareils à des étoiles surmontées de sourcils »(242)
c- « La tempête emporta le pauvre nid dans ses tourbillons »(208)
d- « La rue, avec la foule et ses odeurs, la foule et ses appels, la foule et ses murmures, ses chants, ses lamentations, ses disputes et ses cris d’enfants, la rue avec ses places qu’ombragent la vigne et le platane, la rue qui rêve, qui chante et qui boude »(136)
e- « Les cris (…) s’étaient transformés en torrent, en cataracte, en bruit de rafale. »(40)
f- « Ma vie s’écoulait dans deux monde opposés. Le jour je subissais toutes sortes de contraintes, (…)la nuit me servait d’appât à ses monstres, me lançait dans le vide de ses abîmes, me faisait don de fruits que mes mains ne pouvaient saisir »(190)
g- « « Elle utilisa tous les moyens(…)pour en venir à bout. Elle employa des méthodes brutales :chaux vive, soufre, pétrole, usa de pratiques plus sournoises talismans, poudres diverses achetées chez un faiseur de miracles, invocations »(151)
h- « Le vent riait, jouait avec les portes, les cognait de fureur »(190)
i- « le Maghzen paie cet épicier sans épices pour abrutir la population et l’empêcher de se mêler des affaires de l’Empire. »(74)
j- « Toute la maison dormait encore »(30)
k- « Le souk des bijoutiers ressemblait à l’entrée d’une fourmilière. »(161)
l- « Sais-tu, femme, que toute peine annonce une joie, que toute mort précède une résurrection, que toute solitude fait place à des flots de tendresse ? »(208)
m- « Fatma Bziouya riait à gorge déployée. »(103)
n- « Adieu les leçons, les récitations collectives, les planchettes rigides, rébarbatives, inhumaines ! »(101)
o- « Et le cœur qui saigne ! Source intarissable de peine, torrent surchauffé par les feux de mes chagrins et de mes douleurs ; cri écrasé sous le poids de ta malédiction. »(180)
p- « J’attendais un bon moment avant de voir surgir de la foule les deux haïks immaculés. »(25)
2- Identifiez la tonalité dans les extraits suivants :
a- « A la maison……cette nuit hantée de cauchemars » (pp.166-168)
b- « Mé, lui dis-je……soufflet magistral » (pp.84-85)
c- « s’adressant à Salama…...Jouer du tam-tam à tout propos » (pp.232-233)
3- Identifiez les champs lexicaux dans les passages suivants en donnant des exemples:
a- « Je connaissais quelques fleurs….les violettes et les iris » (pp.156-157)
b- « Lalla Aicha habitait…..à l’abri du vent » (pp.56-57)
c- « Tout à l’heure….J’ai trouvé cela infiniment triste. »(p.88)
4- Expliquez les 25 mots suivants :
martyrisera (3) guenilles , haillons (18) couffin (35) cabochon (38) courroucée (46) répudiation (50) maussades (54) éphémère (62) chapelet (70) croque-morts (89) frêle (94) chaufournier (99) badauds (107) vociférer (119) condisciple (123) séculaire (129) belvédère (139) brouhaha (163) torpeur (176) conciliabule (184) vétuste (199) ébréché (218) charogne (238) incrédule (245)
un petit sondage : votre opinion nous intéresse!
Le 30/11/2010
Voici un petit sondage qui va contribuer à développer votre esprit critique. Ce sondage n'a aucun but. Et comme on dit en anglais "it's just for fun!" Exprimez-vous alors.
http://www.deliberer.com/poll/la-bote-a-merveilles-dahmed-sefrioui-3417.html
sujet de production écrite
Le 10/12/2009
Voici un sujet qui me plaît beaucoup. La citation est tirée du roman de Sefrioui.
Vous pouvez faire le travail chez vous. Et on essaiera de le corriger en classe.
«Quand je serai un homme, je porterai de belles djellabas blanches qui seront lavées tous les jours, je mangerai tous les matins au moins une livre de beignets très chauds avec beaucoup de beurre, parfois avec du miel. J’aurai quarante chats qui m’obéiront toujours. Ils ne feront jamais de saletés dans les coins. D’ailleurs, nous habiterons une autre maison avec un bigaradier dans la cour. »
(page.183)
Comme le narrateur,et sur le même modèle, dites ce que vous souhaitez quand vous serez grand(e). Vous pouvez commencer par : «Quand je serai un homme/une femme… »
"Antigone" de Jean Anouilh
Le 03/01/2010
Voici le texte intégral de la pièce au programme pour ceux ou celles qui n'ont pas encore eu la possibibilité de se procurer l'oeuvre.
PERSONNAGES
Antigone, fille d'Oedipe
Créon, roi de Thèbes
Hémon, fils de Créon
Ismène, fille d'Oedipe
Le Choeur
Le Messager.
Les Gardes
Le Prologue
Un décor neutre. Trois portes semblables. Au lever du
rideau, tous les personnages sont en scène.Ils bavardent,
tricotent, jouent aux cartes. Le Prologue se détache et
s'avance.
LE PROLOGUE __ Voilà. Ces personnages vont vous
jouer l'histoire d'Antigone. Antigone, c'est la petite maigre
qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit
devant elle. Elle pense. Elle pense qu'elle va être Antigone
tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de la maigre jeune
fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au
sérieux dans la famille et se dresser seule en face du
monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi.
Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle
aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire.
Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle
jusqu'au bout... Et, depuis que ce rideau s'est levé, elle
sent qu'elle s'éloigne à une vitesse vertigineuse de sa soeur
Ismène, qui bavarde et rit avec un jeune homme, de nous
tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous
qui n'avons pas à mourir ce soir. Le jeune homme avec
qui parle la blonde, la belle, l'heureuse Ismène, c'est
Hémon, le fils de Créon. Il est le fiancé d'Antigone. Tout
le portait vers Ismène : son goût de la danse et des jeux,
son goût du bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi,
car Ismène est bien plus belle qu'Antigone ; et puis un
soir, un soir de bal où il n'avait dansé qu'avec Ismène, un
soir où Ismène avait été éblouissante dans sa nouvelle
robe, il a été trouver Antigone qui rêvait dans un coin,
comme en ce moment, ses bras entourant ses genoux, et
il lui a demandé d'être sa femme. Personne n'a jamais
compris pourquoi. Antigone a levé sans étonnement ses
yeux graves sur lui et elle lui a dit «oui » avec un petit
sourire triste... L'orchestre attaquait une nouvelle danse,
Ismène riait aux éclats, là-bas, au milieu des autres
garçons, et voilà, maintenant, lui, il allait être le mari
d'Antigone. Il ne savait pas qu'il ne devait jamais exister
de mari d'Antigone sur cette terre et que ce titre princier
lui donnait seulement le droit de mourir. Cet homme
robuste, aux cheveux blancs, qui médite là, près de son
page, c'est Créon. C'est le roi. Il a des rides, il est fatigué.
Il joue au jeu difficile de conduire les hommes. Avant, du
temps d'Oedipe, quand il n'était que le premier
personnage de la cour, il aimait la musique, les belles
reliures, les longues flâneries chez les petits antiquaires
de Thèbes. Mais Oedipe et ses fils sont morts. Il a laissé
ses livres, ses objets, il a retroussé ses manches, et il a pris
leur place. Quelquefois, le soir, il est fatigué, et il se
demande s'il n'est pas vain de conduire les hommes. Si
cela n'est pas un office sordide qu'on doit laisser à
d'autres, plus frustes... Et puis, au matin, des problèmes
précis se posent, qu'il faut résoudre, et il se lève,
tranquille, comme un ouvrier au seuil de sa journée. La
vieille dame qui tricote, à côté de la nourrice qui a élevé
les deux petites, c'est Eurydice, la femme de Créon. Elle
tricotera pendant toute la tragédie jusqu'à ce que son tour
vienne de se lever et de mourir. Elle est bonne, digne,
aimante. Elle ne lui est d'aucun secours. Créon est seul.
Seul avec son petit page qui est trop petit et qui ne peut
rien non plus pour lui. Ce garçon pâle, là-bas, au fond,
qui rêve adossé au mur, solitaire, c'est le Messager.C'est
lui qui viendra annoncer la mort d'Hémon tout à l'heure.
C'est pour cela qu'il n'a pas envie de bavarder ni de se
mêler aux autres. Il sait déjà... Enfin les trois hommes
rougeauds qui jouent aux cartes, leurs chapeaux sur la
nuque, ce sont les gardes. Ce ne sont pas de mauvais
bougres, ils ont des femmes, des enfants, et des petits
ennuis comme tout le monde, mais ils vous empoigneront
les accusés le plus tranquillement du monde tout à l'heure.
Ils sentent l'ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus
de toute imagination. Ce sont les auxiliaires toujours
innocents et toujours satisfaits d'eux-mêmes, de la justice.
Pour le moment, jusqu'à ce qu'un nouveau chef de Thèbes
dûment mandaté leur ordonne de l'arrêter à son tour, ce
sont les auxiliaires de la justice de Créon. Et maintenant
que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir vous jouer
leur histoire. Elle commence au moment où les deux fils
d'Oedipe, Etéocle et Polynice, qui devaient régner sur
Thèbes un an chacun à tour de rôle, se sont battus et
entre-tués sous les murs de la ville, Etéocle l'aîné, au
terme de la première année de pouvoir, ayant refusé de
céder la place à son frère. Sept grands princes étrangers
que Polynice avait gagnés à sa cause ont été défaits devant
les sept portes de Thèbes. Maintenant la ville est sauvée,
les deux frères ennemis sont morts et Créon, le roi, a
ordonné qu'à Etéocle, le bon frère, il serait fait
d'imposantes funérailles, mais que Polynice, le vaurien, le
révolté, le voyou, serait laissé sans pleurs et sans
sépulture, la proie des corbeaux et des chacals...
Quiconque osera lui rendre les devoirs funèbres sera
impitoyablement puni de mort.
Pendant que le Prologue parlait, les personnages sont
sortis un à un. Le Prologue disparaît aussi. L'éclairage
s'est modifié sur la scène. C'est maintenant une aube
grise et livide dans une maison qui dort. Antigone
entr'ouvre la porte et rentre de l'extérieur sur la pointe
de ses pieds nus, ses souliers à la main. Elle reste un
instant immobile à écouter. La nourrice surgit.
ANTIGONE __ De me promener, nourrice. C'était beau.
Tout était gris. Maintenant, tu ne peux pas savoir, tout est
déjà rose, jaune, vert. C'est devenu une carte postale. Il
faut te lever plus tôt, nourrice, si tu veux voir un monde
sans couleurs. Elle va passer.
je vais à ta chambre, pour voir si tu ne t'es pas découverte
en dormant et je ne te trouve plus dans ton lit !
ANTIGONE __ Le jardin dormait encore. Je l'ai surpris,
nourrice. Je l'ai vu sans qu'il s'en doute. C'est beau un
jardin qui ne pense pas encore aux hommes.
fond, tu l'avais laissée entrebâillée.
ANTIGONE __ Dans les champs, c'était tout mouillée, et
cela attendait. Tout attendait. Je faisais un bruit énorme
toute seule sur la route et j'étais gênée parce que je savais
bien que ce n'était pas moi qu'on attendait. Alors j'ai
enlevé mes sandales et je me suis glissée dans la
campagne sans qu'elle s'en aperçoive...
te remettre au lit.
ANTIGONE __ Je ne me recoucherai pas ce matin
heures ! Je me lève pour voir si elle n'était pas découverte.
Je trouve son lit froid et personne dedans.
ANTIGONE __ Tu crois que si on se levait comme ça
tous les matins, ce serait tous les matins aussi beau,
nourrice, d'être la première fille dehors ?
me faire croire que tu as été te promener, menteuse ! D'où viens-tu ?
ANTIGONE, a un étrange sourire. __ C'est vrai, c'était
encore la nuit. Et il n'y avait que moi dans toute la
campagne à penser que c'était le matin. C'est merveilleux,
nourrice. J'ai cru au jour la première aujourd'hui.
connais, la chanson. J'ai été fille avant toi. Et pas
commode non plus, mais dure tête comme toi, non. D'où viens-tu, mauvaise ?
ANTIGONE, soudain grave. __ Non. Pas mauvaise.
ANTIGONE, doucement. __ Oui. J'avais un rendez-vous.
ANTIGONE, étrangement, après un silence. __ Oui,
nourrice, oui, le pauvre. J'ai un amoureux.
propre ! Toi, la fille d'un roi ! Donnez-vous du mal ;
donnez-vous du mal pour les élever ! Elles sont toutes les
mêmes ! Tu n'étais pourtant pas comme les autres, toi, à
t'attifer toujours devant la glace, à te mettre du rouge aux
lèvres, à chercher à ce qu'on te remarque. Combien de fois
je me suis dit : << Mon Dieu, cette petite, elle n'est pas
assez coquette ! Toujours avec la même robe, et mal
peignée. Les garçons ne verront qu'Ismène avec ses
bouclettes et ses rubans et ils me la laisseront sur les
bras.>> Hé bien, tu vois, tu étais comme ta soeur, et pire
encore, hypocrite ! Qui est-ce ? Un voyou, hein, peut-être?
Un garçon que tu ne peux pas dire à ta famille :
<<Voilà, c'est lui que j'aime, je veux l'épouser. >> C'est
ça, hein, c'est ça ? Réponds donc, fanfaronne !
ANTIGONE, a encore un sourire imperceptible. __ Oui, nourrice.
eue toute gamine ; j'ai promis à sa pauvre mère que j'en
ferais une honnête fille, et voilà ! Mais ça ne va pas se
passer comme ça, ma petite. Je ne suis que ta nourrice, et
tu me traites comme une vieille bête ; bon ! mais ton
oncle, ton oncle Créon saura. je te le promets !
ANTIGONE, soudain un peu lasse __ Oui, nourrice, mon
oncle Créon saura. Laisse-moi, maintenant.
apprendra que tu te lèves la nuit. Et Hémon ? Et ton
fiancé? Car elle est fiancée ! Elle est fiancée et à quatre
heures du matin elle quitte son lit pour aller courir avec un
autre. Et ça vous répond qu'on la laisse, ça voudrait qu'on
ne dise rien. Tu sais ce que je devrais faire ? Te battre
comme lorsque tu étais petite.
ANTIGONE __ Nounou, tu ne devrais pas trop crier. Tu
ne devrais pas être trop méchante ce matin.
dessus le marché ! Moi qui avais promis à ta mère...
Qu'est-ce qu'elle me dirait, si elle était là ? « Vieille bête,
oui, vieille bête, qui n'as pas su me la garder pure, ma
petite. Toujours à crier, à faire le chien de garde, à leur
tourner autour avec des lainages pour qu'elles ne prennent
pas froid ou des laits de poule pour les rendre fortes ; mais
à quatre heures du matin tu dors, vieille bête, tu dors, toi
qui ne peux pas fermer l'oeil, et tu les laisses filer,
marmotte, et quand tu arrives, le lit est froid ! » Voilà ce
qu'elle me dira ta mère, là-haut, quand j'y monterai, et moi
j'aurai honte, honte à en mourir si je n'étais pas déjà
morte, et je ne pourrai que baisser la tête et répondre :
« Madame Jocaste, c'est vrai. »
ANTIGONE __ Non, nourrice. Ne pleure plus. Tu pourras
regarder maman bien en face, quand tu iras la retrouver.
Et elle te dira : « Bonjour, nounou, merci pour la petite
Antigone. Tu as bien pris soin d'elle. » Elle sait pourquoi
je suis sorti ce matin.
ANTIGONE __ Non, nounou.
je suis trop vieille. Tu étais ma préférée, malgré ton sale
caractère. Ta soeur était plus douce, mais je croyais que
c'était toi qui m'aimais. Si tu m'aimais, tu m'aurais dit la
vérité. Pourquoi ton lit était-il froid quand je suis venu te border ?
ANTIGONE __ Ne pleure plus, s'il te plaît, nounou. (Elle
l'embrasse) Allons, ma vieille bonne pomme rouge. Tu
sais quand je te frottais pour que tu brilles ? Ma vieille
pomme toute ridée. Ne laisse pas couler tes larmes dans
toutes les petites rigoles, pour des bêtises comme cela -
pour rien. Je suis pure, je n'ai pas d'autre amoureux
qu'Hémon, mon fiancé, je te le jure. Je peux même te
jurer, si tu veux, que je n'aurai jamais d'autre amoureux...
Garde tes larmes, garde tes larmes ; tu en auras peut-être
besoin encore, nounou. Quand tu pleures comme cela, je
redeviens petite... Et il ne faut pas que je sois petite ce
matin. Entre Ismène.
ISMENE __ Tu es déjà levée ? Je viens de ta chambre.
ANTIGONE __ Oui, je suis déjà levée.
deux vous allez devenir folles et vous lever avant les
servantes ? Vous croyez que c'est bon d'être debout le
matin à jeun, que c'est convenable pour des princesses ?
Vous n'êtes seulement pas couvertes. Vous allez voir que
vous allez encore me prendre mal.
ANTIGONE __ Laisse-nous, nourrice. Il ne fait pas froid,
je t'assure ; c'est déjà l'été. Va nous faire du café. (Elle
s'est assise, soudain fatiguée) Je voudrais bien un peu de
café, s'il te plaît, nounou. Cela me ferait du bien.
sans rien et je suis là comme une idiote au lieu de lui
donner quelque chose de chaud. Elle sort vite.
ISMENE __ Tu es malade ?
ANTIGONE __ Ce n'est rien. Un peu de fatigue. (Elle
sourit) C'est parce que je me suis levée tôt.
ISMENE __ Moi non plus, je n'ai pas dormi.
ANTIGONE, sourit encore. __ Il faut que tu dormes. Tu
serais moins belle demain.
ISMENE __ Ne te moque pas.
ANTIGONE __ Je ne me moque pas. Cela me rassure ce
matin, que tu sois belle. Quand j'étais petite, j'étais si
malheureuse, tu te souviens ? Je te barbouillais de terre, je
te mettais des vers dans le cou. Une fois, je t'ai attachée à
un arbre et je t'ai coupé tes cheveux, tes beaux cheveux...
(Elle caresse les cheveux d'Ismène) Comme cela doit être
facile de ne pas penser de bêtises avec toutes ces belles
mèches lisses et bien ordonnées autour de la tête !
ISMENE, soudain. __ Pourquoi parles-tu d'autre chose ?
ANTIGONE, doucement, sans cesser de lui caresser les
cheveux __ Je ne parle pas d'autre chose...
ISMENE __ Tu sais, j'ai bien pensé, Antigone.
ANTIGONE __ Oui.
ISMENE __ J'ai bien pensé toute la nuit. Tu es folle.
ANTIGONE __ Oui.
ISMENE __ Nous ne pouvons pas.
ANTIGONE, après un silence, de sa petite voix. __Pourquoi ?
ISMENE __ Il nous ferait mourir.
ANTIGONE __ Bien sûr. A chacun son rôle. Lui, il doit
nous faire mourir, et nous, nous devons aller enterrer notre
frère. C'est comme ça que ça a été distribué. Qu'est-ce que
tu veux que nous y fassions ?
ISMENE __ Je ne veux pas mourir.
ANTIGONE, doucement. __ Moi aussi j'aurais bien voulu
ne pas mourir.
ISMENE __ Ecoute, j'ai bien réfléchi toute la nuit. Je suis
l'aînée. Je réfléchis plus que toi. Toi, c'est ce qui te passe
par la tête tout de suite, et tant pis si c'est une bêtise. Moi,
je suis plus pondérée. Je réfléchis.
ANTIGONE __ Il y a des fois où il ne faut pas trop réfléchir.
ISMENE __ Si, Antigone. D'abord c'est horrible, bien sûr,
et j'ai pitié moi aussi de mon frère, mais je comprends un
peu notre oncle.
ANTIGONE __ Moi je ne veux pas comprendre un peu.
ISMENE __ Il est le roi, il faut qu'il donne l'exemple.
ANTIGONE __ Moi, je ne suis pas le roi. Il ne faut pas
que je donne l'exemple, moi... Ce qui lui passe par la tête,
la petite Antigone, la sale bête, l'entêtée, la mauvaise, et
puis on la met dans un coin ou dans un trou. Et c'est bien
fait pour elle. Elle n'avait qu'à ne pas désobéir.
ISMENE __ Allez ! Allez ! ... Tes sourcils joints, ton
regard droit devant toi et te voilà lancée sans écouter
personne. Ecoute-moi. J'ai raison plus souvent que toi.
ANTIGONE __ Je ne veux pas avoir raison.
ISMENE __ Essaie de comprendre au moins !
ANTIGONE __ Comprendre... Vous n'avez que ce mot-là
dans la bouche, tous, depuis que je suis toute petite. Il
fallait comprendre qu'on ne peut pas toucher à l'eau, à la
belle et fuyante eau froide parce que cela mouille les
dalles, à la terre parce que cela tache les robes. Il fallait
comprendre qu'on ne doit pas manger tout à la fois,
donner tout ce qu'on a dans ses poches au mendiant qu'on
rencontre, courir, courir dans le vent jusqu'à ce qu'on
tombe par terre et boire quand on a chaud et se baigner
quand il est trop tôt ou trop tard, mais pas juste quand on
en a envie ! Comprendre. Toujours comprendre. Moi, je
ne veux pas comprendre. Je comprendrai quand je serai
vieille. (Elle achève doucement.) Si je deviens vieille. Pas
maintenant.
ISMENE __ Il est plus fort que nous, Antigone. Il est le
roi. Et ils pensent tous comme lui dans la ville. Ils sont
des milliers et des milliers autour de nous, grouillant dans
toutes les rues de Thèbes.
ANTIGONE __ Je ne t'écoute pas.
ISMENE __ Ils nous hueront. Ils nous prendront avec
leurs mille bars, leurs mille visages et leur unique regard.
Ils nous cracheront à la figure. Et il faudra avancer dans
leur haine sur la charrette avec leur odeur et leurs rires
jusqu'au supplice. Et là, il y aura les gardes avec leurs
têtes d'imbéciles, congestionnés sur leurs cols raides, leurs
grosses mains lavées, leur regard de boeuf -qu'on sent
qu'on pourra toujours crier, essayer de leur faire
comprendre, qu'ils vont comme des nègres et qu'ils feront
tout ce qu'on leur a dit scrupuleusement, sans savoir si
c'est bien ou mal... Et souffrir ? Il faudra souffrir, sentir
que la douleur monte, qu'elle est arrivée au point où l'on
ne peut plus la supporter ; qu'il faudrait qu'elle s'arrête,
mais qu'elle continue pourtant et monte encore, comme
une voix aiguëë... Oh ! je ne peux pas, je ne peux pas...
ANTIGONE __ Comme tu as bien tout pensé !
ISMENE __ Toute la nuit. Pas toi ?
ANTIGONE __ Si, bien sûr.
ISMENE __ Moi, tu sais, je ne suis pas très courageuse.
ANTIGONE, doucement. __ Moi non plus. Mais qu'est-ce
que cela fait ?
Il y a un silence, Ismène demande soudain :
ISMENE __ Tu n'as donc pas envie de vivre, toi ?
ANTIGONE, murmure. __ Pas envie de vivre... (Et plus
doucement encore, si c'est possible.) Qui se levait la
première, le matin, rien que pour sentir l'air froid sur sa
peau nue ? Qui se couchait la dernière, seulement quand
elle n'en pouvait plus de fatigue, pour vivre encore un peu
plus la nuit ? Qui pleurait déjà toute petite, en pensant
qu'il y avait tant de petites bêtes, tant de brins d'herbe
dans le près et qu'on ne pouvait pas tous les prendre ?
ISMENE, a un élan soudain vers elle. __ Ma petite soeur...
ANTIGONE, se redresse et crie. __ Ah, non ! Laisse-moi!
Ne me caresse pas ! Ne nous mettons pas à pleurnicher
ensemble, maintenant. Tu as bien réfléchi, tu dis ? Tu
penses que toute la ville hurlante contre toi, tu penses que
la douleur et la peur de mourir c'est assez ?
ISMENE, baisse la tête. __ Oui
ANTIGONE __ Sers-toi de ces prétextes.
ISMENE, se jette contre elle. __ Antigone ! Je t'en
supplie! C'est bon pour les hommes de croire aux idées et
de mourir pour elles. Toi, tu es une fille.
ANTIGONE, les dents serrées. __ Une fille, oui. Ai-je
assez pleuré d'être une fille !
ISMENE __ Ton bonheur est là devant toi et tu n'as qu'à
le prendre. Tu es fiancée, tu es jeune, tu es belle...
ANTIGONE, sourdement. __ Non, je ne suis pas belle.
ISMENE __ Pas belle comme nous, mais autrement. Tu
sais bien que c'est sur toi que se retournent les petits
voyous dans la rue ; que c'est toi que les petites filles
regardent passer, soudain muettes, sans pouvoir te quitter
des yeux jusqu'à ce que tu aies tourné le coin.
ANTIGONE, a un imperceptible sourire. __ Des voyous,
des petites filles...
ISMENE, après un temps. __ Et Hémon, Antigone ?
ANTIGONE, fermée __ Je parlerai tout à l'heure à
Hémon: Hémon sera tout à l'heure une affaire réglée.
ISMENE __ Tu es folle.
ANTIGONE, sourit. __ Tu m'as toujours dit que j'étais
folle, pour tout, depuis toujours. Va te recoucher,
Ismène... Il fait jour maintenant, tu vois, et, de toute
façon, je ne pourrai rien faire. Mon frère mort est
maintenant entouré d'une garde exactement comme s'il
avait réussi à se faire roi. Va te recoucher. Tu es toute pâle de fatigue.
ISMENE __ Et toi ?
ANTIGONE __ Je n'ai pas envie de dormir... Mais je te
promets que je ne bougerai pas d'ici avant ton réveil.
Nourrice va m'apporter à manger. Va dormir encore. Le
soleil se lève seulement. Tu as les yeux tout petits de
sommeil. Va...
ISMENE __ Je te convaincrai, n'est-ce pas ? Je te
convaincrai ? Tu me laisseras te parler encore ?
ANTIGONE, un peu lasse. __ Je te laisserai me parler,
oui. Je vous laisserai tous me parler. Va dormir
maintenant, je t'en prie. Tu serais moins belle demain.
(Elle la regarde sortir avec un petit sourire triste, puis
elle tombe soudain lasse sur une chaise.) Pauvre Ismène!
des tartines, mon pigeon. Mange.
ANTIGONE __ Je n'ai pas très faim, nourrice.
beurrées comme tu les aimes.
ANTIGONE __ Tu es gentille, nounou. Je vais seulement boire un peu.
ANTIGONE __ Nulle part, nounou. Mais fais-moi tout de
même bien chaud comme lorsque j'étais malade... Nounou
plus forte que la fièvre, nounou plus forte que le
cauchemar, plus forte que l'ombre de l'armoire qui ricane
et se transforme d'heure en heure sur le mur, plus forte
que les mille insectes du silence qui rongent quelque
chose, quelque part dans la nuit, plus forte que la nuit
elle-même avec son hululement de folle qu'on n'entend
pas ; nounou plus forte que la mort. Donne-moi ta main
comme lorsque tu restais à côté de mon lit.
ANTIGONE __ Rien, nounou. Je suis seulement encore
un peu petite pour tout cela. Mais il n'y a que toi qui dois le savoir.
ANTIGONE __ Pour rien, nounou. Et puis, tu es là. Je
tiens ta bonne main rugueuse qui sauve de tout, toujours,
je le sais bien. Peut-être qu'elle va me sauver encore. Tu
es si puissante, nounou.
ANTIGONE __ Rien, nounou. Seulement ta main comme
cela sur ma joue. (Elle reste un moment les yeux fermés.)
Voilà, je n'ai plus peur. Ni du méchant ogre, ni du
marchand de sable, ni de Taoutaou qui passe et emmène
les enfants... (Un silence encore, elle continue d'un autre
ton.) Nounou, tu sais, Douce, ma chienne...
ANTIGONE __ Tu vas me promettre que tu ne la gronderas plus jamais.
pattes! Ça ne devrait pas entrer dans les maisons !
ANTIGONE __ Même si elle salit tout. Promets, nourrice.
abîmer sans rien dire ?
ANTIGONE __ Oui, nounou.
ANTIGONE __ S'il te plaît, nounou. Tu l'aimes bien,
Douce, avec sa bonne grosse tête. Et puis, au fond, tu
aimes bien frotter aussi. Tu serais très malheureuse si tout
restait propre toujours. Alors je te le demande : ne la gronde pas.
ANTIGONE __ Promets que tu ne la gronderas tout de
même pas. Je t'en prie, dis, je t'en prie, nounou...
C'est bon. C'est bon. On essuiera sans rien dire. Tu me
fais tourner en bourrique.
ANTIGONE __ Et puis, promets-moi aussi que tu lui
parleras, que tu lui parleras souvent.
Parler aux bêtes !
ANTIGONE __ Et justement pas comme à une bête.
Comme à une vraie personne, comme tu m'entends faire...
l'idiote! Mais pourquoi veux-tu que toute la maison lui
parle comme toi, à cette bête ?
ANTIGONE, doucement. __ Si moi, pour une raison ou
pour une autre, je ne pouvais plus lui parler...
plus lui parler ? Pourquoi ?
ANTIGONE, détourne un peu la tête et puis elle ajoute,
la voix dure. __ Et puis, si elle était trop triste, si elle avait
trop l'air d'attendre tout de même, le nez sous la porte
comme lorsque je suis sortie, il vaudrait peut-être mieux
la faire tuer, nounou, sans qu'elle ait mal.
tuer ta chienne ? Mais tu es folle ce matin !
ANTIGONE __ Non, nounou. (Hémon paraît). Voilà
Hémon. Laisse-nous, nourrice. Et n'oublie pas ce que tu m'as juré.
La nourrice sort.
ANTIGONE, court à Hémon. __ Pardon, Hémon, pour
notre dispute d'hier soir et pour tout. C'est moi qui avais
tort. Je te prie de me pardonner.
HEMON __ Tu sais bien que je t'avais pardonné, à peine
avais-tu claqué la porte. Ton parfum était encore là et je
t'avais déjà pardonné. (Il la tient dans ses bras, il sourit,
il la regarde.) A qui l'avais-tu volé, ce parfum ?
ANTIGONE __ A Ismène.
HEMON __ Et le rouge à lèvres, la poudre, la belle robe ?
ANTIGONE __ Aussi.
HEMON __ En quel honneur t'étais-tu faite si belle ?
ANTIGONE __ Je te le dirai. (Elle se serre contre lui un
peu plus fort) Oh ! mon chéri, comme j'ai été bête ! Tout
un soir gaspillé. Un beau soir.
HEMON __ Nous aurons d'autres soirs, Antigone.
ANTIGONE __ Peut-être pas.
HEMON __ Et d'autres disputes aussi. C'est plein de
disputes, un bonheur.
ANTIGONE __ Un bonheur, oui... Ecoute, Hémon.
HEMON __ Oui.
ANTIGONE __ Ne ris pas ce matin. Sois grave.
HEMON __ Je suis grave.
ANTIGONE __ Et serre-moi. Plus fort que tu ne m'as
jamais serrée. Que toute ta force s'imprime dans moi.
HEMON __ Là. De toute ma force.
ANTIGONE, dans un souffle. __ C'est bon. (Ils restent un
instant sans rien dire, puis elle commence doucement.)
Ecoute, Hémon.
HEMON __ Oui.
ANTIGONE __ Je voulais te dire ce matin... Le petit
garçon que nous aurions eu tous les deux...
HEMON __ Oui.
ANTIGONE __ Tu sais, je l'aurais bien défendu contre tout.
HEMON __ Oui, Antigone.
ANTIGONE __ Oh ! Je l'aurais serré si fort qu'il n'aurait
jamais eu peur, je te le jure. Ni du soir qui vient, ni de
l'angoisse du plein soleil immobile, ni des ombres... Notre
petit garçon, Hémon ! Il aurait eu une maman toute petite
et mal peignée -mais plus sûre que toutes les vraies mères
du monde avec leurs vraies poitrines et leurs grands
tabliers. Tu le crois, n'est-ce pas ?
HEMON __ Oui, mon amour.
ANTIGONE __ Et tu crois aussi, n'est-ce pas, que toi, tu
aurais eu une vraie femme ?
HEMON, la tient. __ J'ai une vraie femme.
ANTIGONE, crie soudain, blottie contre lui. __ Oh ! tu
m'aimais, Hémon, tu m'aimais, tu en es bien sûr, ce soir là?
HEMON, la berce doucement. __ Quel soir ?
ANTIGONE __ Tu es bien sûr qu'à ce bal où tu es venu
me chercher dans mon coin, tu ne t'es pas trompé de jeune
fille ? Tu es sûr que tu n'as jamais regretté depuis, jamais
pensé, même tout au fond de toi, même une fois, que tu
aurais plutôt dû demander Ismène ?
HEMON __ Idiote !
ANTIGONE __ Tu m'aimes, n'est-ce pas ? Tu m'aimes
comme une femme ? Tes bras qui me serrent ne mentent
pas ? Tes grandes mains posées sur mon dos ne mentent
pas, ni ton odeur, ni ce bon chaud, ni cette grande
confiance qui m'inonde quand j'ai la tête au creux de ton cou ?
HEMON __ Oui, Antigone, je t'aime comme une femme.
ANTIGONE __ Je suis noire et maigre. Ismène est rose et
dorée comme un fruit.
HEMON, murmure. __ Antigone...
ANTIGONE __ Oh ! Je suis toute rouge de honte. Mais il
faut que je sache ce matin. Dis la vérité. je t'en prie.
Quand tu penses que je serai à toi, est-ce que tu sens au
milieu de toi comme un grand trou qui se creuse, comme
quelque chose qui meurt ?
HEMON __ Oui, Antigone.
ANTIGONE, dans un souffle, après un temps. __ Moi, je
sens comme cela. Et je voulais te dire que j'aurais été très
fière d'être ta femme, ta vraie femme, sur qui tu aurais
posé ta main, le soir, en t'asseyant, sans penser, comme
sur une chose bien à toi. (Elle s'est détachée de lui, elle a
pris un autre ton.) Voilà. Maintenant, je vais te dire
encore deux choses. Et quand je les aurais dites, il faudra
que tu sortes sans me questionner. Même si elles te
paraissent extraordinaires, même si elles te font de la
peine. Jure-le- moi.
HEMON __ Qu'est-ce que tu vas me dire encore ?
ANTIGONE __ Jure-moi d'abord que tu sortiras sans rien
me dire. Sans même me regarder. Si tu m'aimes, jure-le moi.
(Elle le regarde avec son pauvre visage bouleversé.)
Tu vois comme je te le demande, jure-le-moi, s'il te plaît,
Hémon... C'est la dernière folie que tu auras à me passer.
HEMON __ Je te le jure.
ANTIGONE __ Merci. Alors, voilà. Hier. D'abord. Tu me
demandais tout à l'heure pourquoi j'étais venue avec une
robe d'Ismène, ce parfum et ce rouge à lèvres. J'étais bête.
Je n'étais pas très sûre que tu me désires vraiment et
j'avais fait tout cela pour être un peu plus comme les
autres filles, pour te donner envie de moi.
HEMON __ C'était pour cela ?
ANTIGONE __ Oui. Et tu as ri, et nous nous sommes
disputés et mon mauvais caractère a été le plus fort, je me
suis sauvée. (Elle ajoute plus bas.) Mais j'étais venue
chez toi pour que tu me prennes hier soir, pour que je sois
ta femme avant. (Il recule, il va parler, elle crie.) Tu m'as
juré de ne pas me demander pourquoi. Tu m'as juré,
Hémon ! (Elle dit plus bas, humblement.) Je t'en supplie...
(Et elle ajoute, se détournant, dure.) D'ailleurs, je vais te
dire. Je voulais être ta femme quand même parce que je
t'aime comme cela, moi, très fort, et que je vais te faire de
la peine, ô mon chéri, pardon ! que jamais, jamais, je ne
pourrai t'épouser. (Il est resté muet de stupeur, elle court
à la fenêtre, elle crie.) Hémon, tu me l'as juré ! Sors. Sors
tout de suite sans rien dire. Si tu parles, si tu fais un seul
pas vers moi, je me jette par cette fenêtre. Je te le jure,
Hémon. Je te le jure sur la tête du petit garçon que nous
avons eu tous les deux en rêve, du seul petit garçon que
j'aurai jamais. Pars maintenant, pars vite. Tu sauras
demain. Tu sauras tout à l'heure. (Elle achève avec un tel
désespoir qu'Hémon obéit et s'éloigne.) S'il te plaît, pars,
Hémon. C'est tout ce que tu peux faire encore pour moi,
si tu m'aimes. (Il est sorti. Elle reste sans bouger, le dos
à la salle, puis elle referme la fenêtre, elle vient s'asseoir
sur une petite chaise au milieu de la scène, et dit
doucement, comme étrangement apaisée.) Voilà. C'est
fini pour Hémon, Antigone.
ISMENE, est entrée, appelant. __ Antigone ! ... Ah !, tu es là !
ANTIGONE, sans bouger. __ Oui, je suis là.
ISMENE __ Je ne peux pas dormir. J'avais peur que tu
sortes, et que tu tentes de l'enterrer malgré le jour.
Antigone, ma petite soeur, nous sommes tous là, autour de
toi, Hémon, nounou et moi, et Douce, ta chienne Nous
t'aimons et nous sommes vivants, nous, nous avons besoin
de toi. Polynice est mort et il ne t'aimait pas. Il a toujours
été un étranger pour nous, un mauvais frère. Oublie-le,
Antigone, comme il nous avait oubliées. Laisse son ombre
dure errer éternellement sans sépulture, puisque c'est la loi
de Créon. Ne tente pas ce qui est au-dessus de tes forces.
Tu braves tout toujours, mais tu es toute petite, Antigone.
Reste avec nous, ne va pas là-bas cette nuit, je t'en supplie.
ANTIGONE, s'est levée, un étrange petit sourire sur les
lèvres, elle va vers la porte et du seuil, doucement, elle
dit... __ C'est trop tard. Ce matin, quand tu m'as
rencontrée, j'en venais.
Elle est sortie. Ismène la suit avec un cri :
ISMENE __ Antigone !
Dès qu'Ismène est sortie, Créon entre par une autre porte
avec son page.
CREON __ Un garde, dis-tu ? Un de ceux qui gardent le
cadavre ? Fais-le entrer.
Le garde entre. C'est une brute. Pour le moment, il est
vert de peur.
LE GARDE se présente, au garde à vous. __ Garde
Jonas, de
CREON __ Qu'est-ce que tu veux ?
LE GARDE __ Voilà, chef. On a tiré au sort pour savoir
celui qui viendrait. Et le sort est tombé sur moi. Alors,
voilà, chef. Je suis venu parce qu'on a pensé qu'il valait
mieux qu'il n'y en ait qu'un qui explique, et puis parce
qu'on ne pouvait pas abandonner le poste tous les trois.
On est les trois du piquet de garde, chef, autour du
cadavre.
CREON __ Qu'as-tu à me dire ?
LE GARDE __ On est trois. chef. Je ne suis pas tout seul.
Les autres, c'est Durand et le garde de première classe Boudousse.
CREON __ Pourquoi n'est-ce pas le première classe qui est venu ?
LE GARDE __ N'est-ce pas, chef ? Je l'ai dit tout de suite,
moi. C'est le première classe qui doit y aller. Quand il n'y
a pas de gradé, c'est le première classe qui est responsable.
Mais les autres, ils ont dit non et ils ont voulu tirer au sort.
Faut-il que j'aille chercher le première classe, chef ?
CREON __ Non. Parle, toi, puisque tu es là.
LE GARDE __ J'ai dix-sept ans de service. Je suis engagé
volontaire, la médaille, deux citations. Je suis bien noté,
chef. Moi, je suis "service". Je ne connais que ce qui est
commandé. Mes supérieurs, ils disent toujours : « Avec
Jonas, on est tranquille. »
CREON __ C'est bon. Parle. De quoi as-tu peur ?
LE GARDE __ Régulièrement, ça aurait dû être le
première classe. Moi je suis proposé première classe, mais
je ne suis pas encore promu. Je devais être promu en juin.
CREON __ Vas-tu parler, enfin ? S'il est arrivé quelque
chose, vous êtes tous les trois responsables. Ne cherche
plus qui devrait être là.
LE GARDE __ Hé bien, voilà, chef : le cadavre... On a
veillé, pourtant ! On avait la relève de deux heures, la plus
dure. Vous savez ce que c'est, au moment où la nuit va
finir. Ce plomb entre les yeux, la nuque qui tire, et puis
toutes ces ombres qui bougent et le brouillard du petit
matin qui se lève... Ah ! ils ont bien choisi leur heure ! ...
On était là, on parlait, on battait la semelle... On ne
dormait pas, chef, ça, on peut vous le jurer tous les trois
qu'on ne dormait pas ! D'ailleurs, avec le froid qu'il
faisait... Tout d'un coup, moi je regarde le cadavre... On
était à deux pas, mais moi je le regardais de temps en
temps tout de même... Je suis comme ça, moi, chef, je suis
méticuleux. C'est pour ça que mes supérieurs, ils disent :
« Avec Jonas... » (Un geste de Créon l'arrête, il crie
soudain.) C'est moi qui l'ai vu le premier, chef ! Les autres
vous le diront, c'est moi qui ai donné le premier l'alarme.
CREON __ L'alarme ? Pourquoi ?
LE GARDE __ Le cadavre, chef. Quelqu'un l'avait
recouvert. Oh ! pas grand-chose. Ils n'avaient pas eu le
temps, avec nous à côté. Seulement un peu de terre... Mais
assez tout de même pour le cacher aux vautours.
CREON, va à lui. __ Tu es sûr que ce n'est pas une bête en grattant ?
LE GARDE __ Non, chef. On a d'abord espéré ça, nous
aussi. Mais la terre était jetée sur lui. Selon les rites. C'est
quelqu'un qui savait ce qu'il faisait.
CREON __ Qui a osé ? Qui a été assez fou pour braver ma
loi ? As-tu relevé des traces ?
LE GARDE __ Rien, chef. Rien qu'un pas plus léger
qu'un passage d'oiseau. Après, en cherchant mieux, le
garde Durand a trouvé plus loin une pelle, une petite pelle
d'enfant toute vieille, toute rouillée. On a pensé que ça ne
pouvait pas être un enfant qui avait fait le coup. Le
première classe l'a gardée tout de même pour l'enquête.
CREON, rêve un peu. __ Un enfant... L'opposition brisée
qui sourd et mine déjà partout. Les amis de Polynice avec
leur or bloqué dans Thèbes, les chefs de la plèbe puant
l'ail, soudainement alliés aux princes, et les prêtres
essayant de pêcher quelque chose au milieu de tout cela...
Un enfant ! Ils ont dû penser que ce serait plus touchant.
Je le vois d'ici, leur enfant, avec sa gueule de tueur
appointé et la petite pelle soigneusement enveloppée dans
du papier sous sa veste. A moins qu'ils n'aient dressé un
vrai enfant, avec des phrases... Une innocence inestimable
pour le parti. Un vrai petit garçon pâle qui crachera
devant mes fusils. Un précieux sang bien frais sur mes
mains, double aubaine. (Il va à l'homme.) Mais ils ont des
complices, et dans ma garde, peut-être. Ecoute bien, toi...
LE GARDE __ Chef, on a fait tout ce qu'on devait faire !
Durand s'est assis une demi-heure parce qu'il avait mal
aux pieds, mais moi, chef, je suis resté tout le temps
debout. Le première classe vous le dira.
CREON __ A qui avez-vous déjà parlé de cette affaire ?
LE GARDE __ A personne, chef. On a tout de suite tiré
au sort, et je suis venu.
CREON __ Ecoute bien. Votre garde est doublée.
Renvoyez la relève. Voilà l'ordre. Je ne veux que vous
près du cadavre. Et pas un mot. Vous êtes tous coupables
d'une négligence, vous serez punis de toute façon, mais si
tu parles, si le bruit court dans la ville qu'on a recouvert le
cadavre de Polynice, vous mourrez tous les trois.
LE GARDE gueule. __ On n'a pas parlé, chef, je vous le
jure ! Mais, moi, j'étais ici, et peut-être que les autres, ils
l'ont déjà dit à la relève... (Il sue à grosses gouttes, il
bafouille.) Chef, j'ai deux enfants. Il y en a un qui est
tout petit. Vous témoignerez pour moi que j'étais ici, chef,
devant le conseil de guerre. J'étais ici, moi, avec vous !
J'ai un témoin ! Si on a parlé, ça sera les autres, ça ne sera
pas moi ! J'ai un témoin, moi !
CREON __ Va vite. Si personne ne sait, tu vivras.
(Le garde sort en courant. Créon reste un instant muet.
Soudain, il murmure.)
CREON __ Un enfant... (Il a pris le petit page par
l'épaule.) Viens, petit. Il faut que nous allions raconter
tout cela maintenant... Et puis, la jolie besogne
commencera. Tu mourrais, toi, pour moi ? Tu crois que tu
irais avec ta petite pelle ? (Le petit le regarde. Il sort avec
lui, lui caressant la tête.) Oui, bien sûr, tu irais tout de
suite, toi aussi... (On l'entend soupirer encore en sortant.Un enfant...
Ils sont sortis. Le choeur entre.
LE CHOEUR __ Et voilà. Maintenant, le ressort est
bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul. C'est cela
qui est commode dans la tragédie. On donne le petit coup
de pouce pour que cela démarre, rien, un regard pendant
une seconde à une fille qui passe et lève les bras dans la
rue, une envie d'honneur un beau matin, au réveil, comme
de quelque chose qui se mange, une question de trop que
l'on se pose un soir... C'est tout. Après, on n'a plus qu'à
laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul. C'est
minutieux, bien huilé depuis toujours. La mort, la
trahison, le désespoir sont là, tout prêts, et les éclats, et les
orages, et les silences, tous les silences : le silence quand
le bras du bourreau se lève à la fin, le silence au
commencement quand les deux amants sont nus l'un en
face de l'autre pour la première fois, sans oser bouger tout
de suite, dans la chambre sombre, le silence quand les cris
de la foule éclatent autour du vainqueur et on dirait un
film dont le son s'est enrayé, toutes ces bouches ouvertes
dont il ne sort rien, toute cette clameur qui n'est qu'une
image, et le vainqueur, déjà vaincu, seul au milieu de son
silence... C'est propre, la tragédie. C'est reposant, c'est
sûr... Dans le drame, avec ces traîtres, avec ces méchants
acharnés, cette innocence persécutée, ces vengeurs, ces
terre-neuve, ces lueurs d'espoir, cela devient épouvantable
de mourir, comme un accident. On aurait peut-être pu se
sauver, le bon jeune homme aurait peut-être pu arriver à
temps avec les gendarmes. Dans la tragédie, on est
tranquille. D'abord, on est entre soi. On est tous innocents,
en somme ! Ce n'est pas parce qu'il y en a un qui tue et
l'autre qui est tué. C'est une question de distribution. Et
puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait
qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir ; qu'on est pris,
qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son
dos, et qu'on n'a plus qu'à crier, pas à gémir, non, pas à se
plaindre, à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire,
qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même
pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi, pour
l'apprendre, soi. Dans le drame, on se débat parce qu'on
espère en sortir. C'est ignoble, c'est utilitaire. Là, c'est
gratuit. C'est pour les rois. Et il n'y a plus rien à tenter,enfin !
Antigone est entrée, poussée par les gardes.
LE CHOEUR __ Alors, voilà, cela commence. La petite
Antigone est prise. La petite Antigone va pouvoir être
elle- même pour la première fois.
Le choeur disparaît, tandis que les gardes poussent
Antigone en scène.
LE GARDE qui a repris tout son aplomb. __ Allez, allez,
pas d'histoires ! Vous vous expliquerez devant le chef.
Moi, je ne connais que la consigne. Ce que vous aviez à
faire là, je ne veux pas le savoir. Tout le monde a des
excuses, tout le monde a quelque chose à objecter. S'il
fallait écouter les gens, s'il fallait essayer de comprendre,
on serait propres. Allez, allez ! Tenez-la, vous autres, et
pas d'histoires ! Moi, ce qu'elle a à dire, je ne veux pas le savoir !
ANTIGONE __ Dis-leur de me lâcher, avec leurs sales
mains, ils me font mal.
LE GARDE __ Leurs sales mains ? Vous pourriez être
polie, Mademoiselle... Moi, je suis poli.
ANTIGONE __ Dis-leur de me lâcher. Je suis la fille
d'Oedipe, je suis Antigone. Je ne me sauverai pas.
LE GARDE __ La fille d'Oedipe, oui ! Les putains qu'on
ramasse à la garde de nuit, elles disent aussi de se méfier,
qu'elles sont la bonne amie du préfet de police !
Ils rigolent.
ANTIGONE __ Je veux bien mourir, mais pas qu'ils me
touchent !
LE GARDE __ Et les cadavres, dis, et la terre, ça ne te fait
pas peur à toucher ? Tu dis « leurs sales mains » !
Regarde un peu les tiennes.
Antigone regarde ses mains tenues par les menottes avec
un petit sourire. Elles sont pleines de terre.
LE GARDE __ On te l'avait prise, ta pelle ? Il a fallu que
tu refasses ça avec tes ongles, la deuxième fois ? Ah !
cette audace. Je tourne le dos une seconde, je te demande
une chique, et allez, le temps de me la caler dans la joue,
le temps de dire merci, elle était là, à gratter comme une
petite hyène. Et en plein jour ! Et c'est qu'elle se débattait,
cette garce, quand j'ai voulu la prendre ! C'est qu'elle
voulait me sauter aux yeux ! Elle criait qu'il fallait qu'elle
finisse... C'est une folle, oui !
LE DEUXIEME GARDE __ J'en ai arrêté une autre, de
folle, l'autre jour. Elle montrait son cul aux gens
LE GARDE __ Dis, Boudousse, qu'est-ce qu'on va se
payer comme gueuleton tous les trois, pour fêter ça !
LE DEUXIEME GARDE __ Chez
son rouge.
LE TROISIEME GARDE __ On a quartier libre,
dimanche. Si on emmenait les femmes ?
LE GARDE __ Non, entre nous qu'on rigole... Avec les
femmes, il y a toujours des histoires, et puis les moutards
qui veulent pisser. Ah ! dis, Boudousse, tout à l'heure, on
ne croyait pas qu'on aurait envie de rigoler comme ça,nous autres !
LE DEUXIEME GARDE __ Ils vont peut-être nous
donner une récompense.
LE GARDE __ Ça se peut, si c'est important.
LE DEUXIEME GARDE __ Flanchard, de
quand il a mis la main sur l'incendiaire, le mois dernier, il
a eu le mois double.
LE TROISIEME GARDE __ Ah, dis donc ! Si on a le
mois double, je propose : au lieu d'aller chez
va au Palais arabe.
LE GARDE __ Pour boire ? T'es pas fou ? Ils te vendent
la bouteille le double au Palais. Pour monter, d'accord.
Ecoutez-moi, je vais vous dire : on va d'abord chez la
Tordue, on se les cale comme il faut et après on va au
Palais. Dis, Boudousse, tu te rappelles la grosse, du palais?
LE DEUXIEME GARDE __ Ah ! ce que t'étais saoul, toi,
ce jour-là !
LE TROISIEME GARDE __ Mais nos femmes, si on a
le mois double, elles le sauront. Si ça se trouve, on sera
peut-être publiquement félicités.
LE GARDE __ Alors, on verra. La rigolade c'est autre
chose. S'il y a une cérémonie dans la cour de la caserne,
comme pour les décorations, les femmes viendront aussi,
et les gosses. Et alors on ira tous chez
LE DEUXIEME GARDE __ Oui, mais il faudra lui
commander le menu d'avance.
ANTIGONE, demande d'une petite voix. __ Je voudrais
m'asseoir un peu, s'il vous plaît.
LE GARDE après un temps de réflexion. __ C'est bon,
qu'elle s'asseye. Mais ne la lâchez pas, vous autres.
Créon entre, le garde gueule aussitôt.
LE GARDE __ Garde à vous !
CREON, s'est arrêté, surpris. __ Lâchez cette jeune fille.
Qu'est-ce que c'est ?
LE GARDE __ C'est le piquet de garde, chef. On est venu
avec les camarades.
CREON __ Qui garde le corps ?
LE GARDE __ On a appelé la relève, chef.
CREON __ Je t'avais dit de la renvoyer ! Je t'avais dit de
ne rien dire.
LE GARDE __ On n'a rien dit, chef. Mais comme on a
arrêté celle-là, on a pensé qu'il fallait qu'on vienne. Et
cette fois on n'a pas tiré au sort. On a préféré venir tous les trois.
CREON __ Imbéciles ! (A Antigone.) Où t'ont-ils arrêtée?
LE GARDE __ Près du cadavre, chef.
CREON __ Qu'allais-tu faire près du cadavre de ton frère?
Tu savais que j'avais interdit de l'approcher.
LE GARDE __ Ce qu'elle faisait, chef ? C'est pour ça
qu'on vous l'amène. Elle grattait la terre avec ses mains.
Elle était en train de le recouvrir encore une fois.
CREON __ Sais-tu bien ce que tu es en train de dire, toi ?
LE GARDE __ Chef, vous pouvez demander aux autres.
On avait dégagé le corps à mon retour ; mais avec le soleil
qui chauffait, comme il commençait à sentir, on s'est mis
sur une petite hauteur, pas loin, pour être dans le vent. On
se disait qu'en plein jour on ne risquait rien. Pourtant, on
avait décidé, pour être plus sûrs, qu'il y en aurait toujours
un de nous trois qui le regarderait. Mais à midi, en plein
soleil, et puis avec l'odeur qui montait depuis que le vent
était tombé, c'était comme un coup de massue. J'avais
beau écarquiller les yeux, ça tremblait comme de la
gélatine, je voyais plus. Je vais au camarade lui demander
une chique, pour passer ça... Le temps que je me la cale à
la joue, chef, le temps que je lui dise merci, je me retourne: elle était là à gratter avec ses mains. En plein jour ! Elle devait bien penser qu'on ne pouvait pas ne pas la voir. Et quand elle a vu que je lui courais dessus, vous croyez qu'elle s'est arrêtée, qu'elle a essayé de se sauver, peut-être? Non. Elle a continué de toutes ses forces aussi vite
qu'elle pouvait, comme si elle ne me voyait pas arriver. Et
quand je l'ai empoignée, elle se débattait comme une
diablesse, elle voulait continuer encore, elle me criait de
la laisser, que le corps n'était pas encore tout à fait recouvert
CREON, à Antigone. __ C'est vrai ?
ANTIGONE __ Oui, c'est vrai.
LE GARDE __ On a découvert le corps, comme de juste,
et puis on a passé la relève, sans parler de rien, et on est
venu vous l'amener, chef. Voilà.
CREON __ Et cette nuit, la première fois, c'était toi aussi?
ANTIGONE __ Oui. C'était moi. Avec une petite pelle de
fer qui nous servait à faire des châteaux de sable sur la
plage, pendant les vacances. C'était justement la pelle de
Polynice. Il avait gravé son nom au couteau sur le
manche. C'est pour cela que je l'ai laissée près de lui.
Mais ils l'ont prise. Alors la seconde fois, j'ai dû
recommencer avec mes mains.
LE GARDE __ On aurait dit une petite bête qui grattait.
Même qu'au premier coup d'|il, avec l'air chaud qui
tremblait, le camarade dit : «Mais non, c'est une bête. »
« Penses-tu, je lui dis, c'est trop fin pour une bête. C'est une fille. »
CREON __ C'est bien. On vous demandera peut-être un
rapport tout à l'heure. Pour le moment, laissez-moi seul
avec elle. Conduis ces hommes à côté, petit. Et qu'ils
restent au secret jusqu'à ce que je revienne les voir.
LE GARDE __ Faut-il lui remettre les menottes, chef ?
CREON __ Non.
Les gardes sont sortis, précédés par le petit page. Créon
et Antigone sont seuls l'un en face de l'autre. __
CREON __ Avais-tu parlé de ton projet à quelqu'un ?
ANTIGONE __ Non.
CREON __ As-tu rencontré quelqu'un sur ta route ?
ANTIGONE __ Non, personne.
CREON __ Tu es bien sûre ?
ANTIGONE __ Oui.
CREON __ Alors, écoute : tu vas rentrer chez toi, te
coucher, dire que tu es malade, que tu n'es pas sortie
depuis hier. Ta nourrice dira comme toi. Je ferai
disparaître ces trois hommes.
ANTIGONE __ Pourquoi ? Puisque vous savez bien que
je recommencerai.
Un silence. Ils se regardent.
CREON __ Pourquoi as-tu tenté d'enterrer ton frère ?
ANTIGONE __ Je le devais.
CREON __ Je l'avais interdit.
ANTIGONE, doucement. __ Je le devais tout de même.
Ceux qu'on n'enterre pas errent éternellement sans jamais
trouver de repos. Si mon frère vivant était rentré harassé
d'une longue chasse, je lui aurais enlevé ses chaussures, je
lui aurais fait à manger, je lui aurais préparé son lit...
Polynice aujourd'hui a achevé sa chasse. Il rentre à la
maison où mon père et ma mère, et Etéocle aussi,
l'attendent. Il a droit au repos.
CREON __ C'était un révolté et un traître, tu le savais.
ANTIGONE __ C'était mon frère.
CREON __ Tu avais entendu proclamer l'édit aux
carrefours, tu avais lu l'affiche sur tous les murs de la ville?
ANTIGONE __ Oui.
CREON __ Tu savais le sort qui était promis à celui, quel
qu'il soit, qui oserait lui rendre les honneurs funèbres ?
ANTIGONE __ Oui, je le savais.
CREON __ Tu as peut-être cru que d'être la fille d'Oedipe,
la fille de l'orgueil d'Oedipe, c'était assez pour être au-dessus de la loi.
ANTIGONE __ Non. Je n'ai pas cru cela.
CREON __ La loi est d'abord faite pour toi, Antigone, la
loi est d'abord faite pour les filles des rois !
ANTIGONE __ Si j'avais été une servante en train de faire
sa vaisselle, quand j'ai entendu lire l'édit, j'aurais essuyé
l'eau grasse de mes bras et je serais sortie avec mon tablier
pour aller enterrer mon frère.
CREON __ Ce n'est pas vrai. Si tu avais été une servante,
tu n'aurais pas douté que tu allais mourir et tu serais restée
à pleurer ton frère chez toi. Seulement tu as pensé que tu
étais de race royale, ma nièce et la fiancée de mon fils, et
que, quoi qu'il arrive, je n'oserais pas te faire mourir.
ANTIGONE __ Vous vous trompez. J'étais certaine que
vous me feriez mourir au contraire.
CREON, la regarde et murmure soudain. __ L'orgueil
d'Oedipe. Tu es l'orgueil d'Oedipe. Oui, maintenant que je
l'ai trouvé au fond de tes yeux, je te crois. Tu as dû penser
que je te ferais mourir. Et cela te paraissait un
dénouement tout naturel pour toi, orgueilleuse ! Pour ton
père non plus je ne dis pas le bonheur, il n'en était pas
question le malheur humain, c'était trop peu. L'humain
vous gêne aux entournures de la famille. Il vous faut un
tête à tête avec le destin et la mort. Et tuer votre père et
coucher avec votre mère et apprendre tout cela après,
avidement, mot par mot. Quel breuvage, hein, les mots
qui vous condamnent ? Et comme on les boit goulûment
quand on s'appelle Oedipe, ou Antigone. Et le plus
simple, après, c'est encore de se crever les yeux et d'aller
mendier avec ses enfants sur les routes... Hé bien, non.
Ces temps sont révolus pour Thèbes. Thèbes a droit
maintenant à un prince sans histoire. Moi, je m'appelle
seulement Créon, Dieu merci. J'ai mes deux pieds par
terre, mes deux mains enfoncées dans mes poches, et,
puisque je suis roi, j'ai résolu, avec moins d'ambition que
ton père, de m'employer tout simplement à rendre l'ordre
de ce monde un peu moins absurde, si c'est possible. Ce
n'est même pas une aventure, c'est un métier pour tous les
jours et pas toujours drôle, comme tous les métiers. Mais
puisque je suis là pour le faire, je vais le faire... Et si
demain un messager crasseux dévale du fond des
montagnes pour m'annoncer qu'il n'est pas très sûr non
plus de ma naissance, je le prierai tout simplement de s'en
retourner d'où il vient et je ne m'en irai pas pour si peu
regarder ta tante sous le nez et me mettre à confronter les
dates. Les rois ont autre chose à faire que du pathétique
personnel, ma petite fille. (Il a été à elle, il lui prend le
bras.) Alors, écoute-moi bien. Tu es Antigone, tu es la
fille d'Oedipe, soit, mais tu as vingt ans et il n'y a pas
longtemps encore tout cela se serait réglé par du pain sec
et une paire de gifles. (Il la regarde, souriant.) Te faire
mourir ! Tu ne t'es pas regardée, moineau ! Tu es trop
maigre. Grossis un peu, plutôt, pour faire un gros garçon
à Hémon. Thèbes en a besoin plus que de ta mort, je te
l'assure. Tu vas rentrer chez toi tout de suite, faire ce que
je t'ai dit et te taire. Je me charge du silence des autres.
Allez, va ! Et ne me foudroie pas comme cela du regard.
Tu me prends pour une brute, c'est entendu, et tu dois
penser que je suis décidément bien prosaïque. Mais je
t'aime bien tout de même, avec ton sale caractère.
N'oublie pas que c'est moi qui t'ai fait cadeau de ta
première poupée, il n'y a pas si longtemps.
Antigone ne répond pas. Elle va sortir. Il l'arrête.
CREON __ Antigone ! C'est par cette porte qu'on regagne
ta chambre. Où t'en vas-tu par là ?
ANTIGONE, s'est arrêtée, elle lui répond doucement,
sans forfanterie. __ Vous le savez bien...
Un silence. Ils se regardent encore debout l'un en face de l'autre.
CREON, murmure, comme pour lui. __ Quel jeu joues-tu?
ANTIGONE __ Je ne joue pas.
CREON __ Tu ne comprends donc pas que si quelqu'un
d'autre que ces trois brutes sait tout à l'heure ce que tu as
tenté de faire, je serai obligé de te faire mourir ? Si tu te
tais maintenant, si tu renonces à cette folie, j'ai une
chance de te sauver, mais je ne l'aurai plus dans cinq
minutes. Le comprends-tu ?
ANTIGONE __ Il faut que j'aille enterrer mon frère que
ces hommes ont découvert.
CREON __ Tu irais refaire ce geste absurde ? Il y a une
autre garde autour du corps de Polynice et, même si tu
parviens à le recouvrir encore, on dégagera son cadavre,
tu le sais bien. Que peux-tu donc sinon t'ensanglanter
encore les ongles et te faire prendre ?
ANTIGONE __ Rien d'autre que cela, je le sais. Mais
cela, du moins, je le peux. Et il faut faire ce que l'on peut.
CREON __ Tu y crois donc vraiment, toi, à cet
enterrement dans les règles ? A cette ombre de ton frère
condamnée à errer toujours si on ne jette pas sur le
cadavre un petit peu de terre avec la formule du prêtre ?
Tu leur a déjà entendu la réciter, aux prêtres de Thèbes, la
formule ? Tu as vu ces pauvres têtes d'employés fatigués
écourtant les gestes, avalant les mots, bâclant ce mort
pour en prendre un autre avant le repas de midi ?
ANTIGONE __ Oui, je les ai vus.
CREON __ Est-ce que tu n'as jamais pensé alors que si
c'était un être que tu aimais vraiment, qui était là, couché
dans cette boîte, tu te mettrais à hurler tout d'un coup ? A
leur crier de se taire, de s'en aller ?
ANTIGONE __ Si, je l'ai pensé.
CREON __ Et tu risques la mort maintenant parce que j'ai
refusé à ton frère ce passeport dérisoire, ce bredouillage
en série sur sa dépouille, cette pantomime dont tu aurais
été la première à avoir honte et mal si on l'avait jouée.
C'est absurde !
ANTIGONE __ Oui, c'est absurde.
CREON __ Pourquoi fais-tu ce geste, alors ? Pour les
autres, pour ceux qui y croient ? Pour les dresser contre moi ?
ANTIGONE __ Non.
CREON __ Ni pour les autres, ni pour ton frère ? Pour qui alors ?
ANTIGONE __ Pour personne. Pour moi.
CREON, la regarde en silence. __ Tu as donc bien envie
de mourir ? Tu as l'air d'un petit gibier pris.
ANTIGONE __ Ne vous attendrissez pas sur moi. Faites
comme moi. Faites ce que vous avez à faire. Mais si vous
êtes un être humain, faites-le vite. Voilà tout ce que je
vous demande. Je n'aurai pas du courage éternellement,c'est vrai.
CREON, se rapproche. __ Je veux te sauver, Antigone.
ANTIGONE __ Vous êtes le roi, vous pouvez tout, mais
cela, vous ne le pouvez pas.
CREON __ Tu crois ?
ANTIGONE __ Ni me sauver, ni me contraindre.
CREON __ Orgueilleuse ! Petite Oedipe !
ANTIGONE __ Vous pouvez seulement me faire mourir.
CREON __ Et si je te fais torturer ?
ANTIGONE __ Pourquoi ? Pour que je pleure, que je
demande grâce, pour que je jure tout ce qu'on voudra, et
que je recommence après, quand je n'aurai plus mal ?
CREON, lui serre le bras. __ Ecoute-moi bien. J'ai le
mauvais rôle, c'est entendu, et tu as le bon. Et tu le sens.
Mais n'en profite tout de même pas trop, petite peste... Si
j'étais une bonne brute ordinaire de tyran, il y aurait déjà
longtemps qu'on t'aurait arraché la langue, tiré les
membres aux tenailles, ou jeté dans un trou. Mais tu vois
dans mes yeux quelque chose qui hésite, tu vois que je te
laisse parler au lieu d'appeler mes soldats ; alors, tu
nargues, tu attaques tant que tu peux. Où veux-tu en venir,
petite furie ?
ANTIGONE __ Lâchez-moi. Vous me faites mal au bras
avec votre main.
CREON, qui serre plus fort. __ Non. Moi, je suis le plus
fort comme cela, j'en profite aussi.
ANTIGONE, pousse un petit cri. __ Aïe !
CREON, dont les yeux rient. __ C'est peut-être ce que je
devrais faire après tout, tout simplement, te tordre le
poignet, te tirer les cheveux comme on fait aux filles dans
les jeux. (Il la regarde encore. Il redevient grave. Il lui
dit tout près.) Je suis ton oncle, c'est entendu, mais nous
ne sommes pas tendres les uns pour les autres, dans la
famille. Cela ne te semble pas drôle, tout de même, ce roi
bafoué qui t'écoute, ce vieil homme qui peut tout et qui en
a vu tuer d'autres, je t'assure, et d'aussi attendrissants que
toi, et qui est là, à se donner toute cette peine pour essayer
de t'empêcher de mourir ?
ANTIGONE, après un temps. __ Vous serrez trop,
maintenant. Cela ne me fait même plus mal. Je n'ai plus de bras.
CREON, la regarde et la lâche avec un petit sourire. Il
murmure. __ Dieu sait pourtant si j'ai autre chose à faire
aujourd'hui, mais je vais tout de même perdre le temps
qu'il faudra et te sauver, petite peste. (Il la fait asseoir sur
une chaise au milieu de la pièce. Il enlève sa veste, il
s'avance vers elle, lourd, puissant, en bras de chemise.)
Au lendemain d'une révolution ratée, il y a du pain sur la
planche, je te l'assure. Mais les affaires urgentes
attendront. Je ne veux pas te laisser mourir dans une
histoire de politique. Tu vaux mieux que cela. Parce que
ton Polynice, cette ombre éplorée et ce corps qui se
décompose entre ses gardes et tout ce pathétique qui
t'enflamme, ce n'est qu'une histoire de politique. D'abord,
je ne suis pas tendre, mais je suis délicat ; j'aime ce qui est
propre, net, bien lavé. Tu crois que cela ne me dégoûte
pas autant que toi, cette viande qui pourrit au soleil ? Le
soir, quand le vent vient de la mer, on la sent déjà du
palais. Cela me soulève le coeur. Pourtant, je ne vais
même pas fermer ma fenêtre. C'est ignoble, et je peux
même le dire à toi, c'est bête, monstrueusement bête, mais
il faut que tout Thèbes sente cela pendant quelque temps.
Tu penses bien que je l'aurais fait enterrer, ton frère, ne
fût-ce que pour l'hygiène ! Mais pour que les brutes que je
gouverne comprennent, il faut que cela pue le cadavre de
Polynice dans toute la ville, pendant un mois.
ANTIGONE __ Vous êtes odieux !
CREON __ Oui mon petit. C'est le métier qui le veut. Ce
qu'on peut discuter c'est s'il faut le faire ou ne pas le faire.
Mais si on le fait, il faut le faire comme cela.
ANTIGONE __ Pourquoi le faites-vous ?
CREON __ Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes. Et
Dieu sait si j'aimais autre chose dans la vie que d'être puissant...
ANTIGONE __ Il fallait dire non, alors !
CREON __ Je le pouvais. Seulement, je me suis senti tout
d'un coup comme un ouvrier qui refusait un ouvrage. Cela
ne m'a pas paru honnête. J'ai dit oui.
ANTIGONE __ Hé bien, tant pis pour vous. Moi, je n'ai
pas dit « oui » ! Qu'est-ce que vous voulez que cela me
fasse, à moi, votre politique, vos nécessités, vos pauvres
histoires ? Moi, je peux dire « non » encore à tout ce
que je n'aime pas et je suis seul juge. Et vous, avec votre
couronne, avec vos gardes, avec votre attirail, vous
pouvez seulement me faire mourir parce que vous avez dit « oui ».
CREON __ Ecoute-moi.
ANTIGONE __ Si je veux, moi, je peux ne pas vous
écouter. Vous avez dit «oui ». Je n'ai plus rien à
apprendre de vous. Pas vous. Vous êtes là, à boire mes
paroles. Et si vous n'appelez pas vos gardes, c'est pour
m'écouter jusqu'au bout.
CREON __ Tu m'amuses.
ANTIGONE __ Non. Je vous fais peur. C'est pour cela
que vous essayez de me sauver. Ce serait tout de même
plus commode de garder une petite Antigone vivante et
muette dans ce palais. Vous êtes trop sensible pour faire
un bon tyran, voilà tout. Mais vous allez tout de même me
faire mourir tout à l'heure, vous le savez, et c'est pour cela
que vous avez peur. C'est laid un homme qui a peur.
CREON, sourdement. __ Eh bien, oui, j'ai peur d'être
obligé de te faire tuer si tu t'obstines. Et je ne le voudrais pas.
ANTIGONE __ Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que
je ne voudrais pas ! Vous n'auriez pas voulu non plus,
peut- être, refuser une tombe à mon frère ? Dites-le donc,
que vous ne l'auriez pas voulu ?
CREON __ Je te l'ai dit.
ANTIGONE __ Et vous l'avez fait tout de même. Et maintenant, vous allez me faire tuer sans le vouloir. Et c'est cela, être roi !
CREON __ Oui, c'est cela !
ANTIGONE __ Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et
pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont fait aux
bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine.
CREON __ Alors, aie pitié de moi, vis. Le cadavre de ton
frère qui pourrit sous mes fenêtres, c'est assez payé pour
que l'ordre règne dans Thèbes. Mon fils t'aime. Ne
m'oblige pas à payer avec toi encore. J'ai assez payé.
ANTIGONE __ Non. Vous avez dit «oui ». Vous ne
vous arrêterez jamais de payer maintenant !
CREON, la secoue soudain, hors de lui. __ Mais, bon
Dieu ! Essaie de comprendre une minute, toi aussi, petite
idiote ! J'ai bien essayé de te comprendre, moi. Il faut
pourtant qu'il y en ait qui disent oui. Il faut pourtant qu'il
y en ait qui mènent la barque. Cela prend l'eau de toutes
parts, c'est plein de crimes, de bêtise, de misère... Et le
gouvernail est là qui ballotte. L'équipage ne veut plus rien
faire, il ne pense qu'à piller la cale et les officiers sont déjà
en train de se construire un petit radeau confortable, rien
que pour eux, avec toute la provision d'eau douce, pour
tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent
siffle, et les voiles vont se déchirer, et toutes ces brutes
vont crever toutes ensemble, parce qu'elles ne pensent qu'à
leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires.
Crois-tu, alors, qu'on a le temps de faire le raffiné, de savoir s'il faut dire « oui » ou «non », de se demander s'il ne faudra pas payer trop cher un jour, et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d'eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s'avance.Dans le tas ! Cela n'a pas de nom. C'est comme la vague qui vient de s'abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe devant le groupe n'a pas de nom. C'était peut-être celui qui t'avait donné du feu en souriant la veille. Il n'a plus de nom. Et toi non plus tu n'as plus de nom, cramponné à la barre. Il n'y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu le comprends, cela ?
ANTIGONE, secoue la tête. __ Je ne veux pas comprendre. C'est bon pour vous. Moi, je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour vous dire non et pour mourir.
CREON __ C'est facile de dire non !
ANTIGONE __ Pas toujours.
CREON __ Pour dire oui, il faut suer et retrousser ses
manches, empoigner la vie à pleines mains et s'en mettre
jusqu'aux coudes. C'est facile de dire non, même si on
doit mourir. Il n'y a qu'à ne pas bouger et attendre.
Attendre pour vivre, attendre même pour qu'on vous tue.
C'est trop lâche. C'est une invention des hommes. Tu
imagines un monde où les arbres aussi auraient dit non
contre la sève, où les bêtes auraient dit non contre
l'instinct de la chasse ou de l'amour ? Les bêtes, elles au
moins, elle sont bonnes et simples et dures. Elles vont, se
poussant les unes après les autres, courageusement, sur le
même chemin. Et si elles tombent, les autres passent et il
peut s'en perdre autant que l'on veut, il en restera toujours
une de chaque espèce prête à refaire des petits et à
reprendre le même chemin avec le même courage, toute
pareille à celles qui sont passées avant.
ANTIGONE __ Quel rêve, hein, pour un roi, des bêtes !
Ce serait si simple.
Un silence, Créon la regarde.
CREON __ Tu me méprises, n'est-ce pas ? (Elle ne répond
pas, il continue comme pour lui.) C'est drôle : Je l'ai
souvent imaginé, ce dialogue avec un petit jeune homme
pâle qui aurait essayé de me tuer et dont je ne pourrais
rien tirer après que du mépris. Mais je ne pensais pas que
ce serait avec toi et pour quelque chose d'aussi bête... (Il
a pris sa tête dans ses mains. On sent qu'il est à bout de
forces.) Ecoute-moi tout de même pour la dernière fois.
Mon rôle n'est pas bon, mais c'est mon rôle, et je vais te
faire tuer. Seulement, avant, je veux que toi aussi tu sois
bien sûre du tien. Tu sais pourquoi tu vas mourir,
Antigone ? Tu sais au bas de quelle histoire sordide tu vas
signer pour toujours ton petit nom sanglant ?
ANTIGONE __ Quelle histoire ?
CREON __ Celle d'Etéocle et de Polynice, celle de tes
frères. Non, tu crois la savoir, tu ne la sais pas. Personne
ne la sait dans Thèbes, que moi. Mais il me semble que
toi, ce matin, tu as aussi le droit de l'apprendre. (Il rêve un
temps, la tête dans ses mains, accoudé sur ses genoux.
On l'entend murmurer.) Ce n'est pas bien beau, tu vas
voir. (Et il commence sourdement sans regarder
Antigone.) Que te rappelles-tu de tes frères, d'abord ?
Deux compagnons de jeux qui te méprisaient sans doute,
qui te cassaient tes poupées, se chuchotant éternellement
des mystères à l'oreille l'un de l'autre pour te faire enrager?
ANTIGONE __ C'étaient des grands...
CREON __ Après, tu as dû les admirer avec leurs
premières cigarettes, leurs premiers pantalons longs ; et
puis ils ont commencé à sortir le soir, à sentir l'homme, et
ils ne t'ont plus regardée du tout.
ANTIGONE __ J'étais une fille...
CREON __ Tu voyais bien ta mère pleurer, ton père se
mettre en colère, tu entendais claquer les portes à leur
retour et leurs ricanements dans les couloirs. Et ils
passaient devant toi, goguenards et veules, sentant le vin.
ANTIGONE __ Une fois, je m'étais cachée derrière une
porte, c'était le matin, nous venions de nous lever, et eux,
ils rentraient. Polynice m'a vue, il était tout pâle, les yeux
brillants et si beau dans son vêtement du soir ! Il m'a dit: «Tiens, tu es là, toi ? » Et il m'a donné une grande fleur de papier qu'il avait rapportée de sa nuit.
CREON __ Et tu l'as conservée, n'est-ce pas, cette fleur ?
Et hier, avant de t'en aller, tu as ouvert ton tiroir et tu l'as
regardée, longtemps, pour te donner du courage ?
ANTIGONE, tressaille. __ Qui vous a dit cela ?
CREON __ Pauvre Antigone, avec ta fleur de cotillon !
Sais-tu qui était ton frère ?
ANTIGONE __ Je savais que vous me diriez du mal de lui
en tout cas !
CREON __ Un petit fêtard imbécile, un petit carnassier
dur et sans âme, une petite brute tout juste bonne à aller
plus vite que les autres avec ses voitures, à dépenser plus
d'argent dans les bars. Une fois, j'étais là, ton père venait
de lui refuser une grosse somme qu'il avait perdue au jeu;
il est devenu tout pâle et il a levé le poing en criant un mot ignoble !
ANTIGONE __ Ce n'est pas vrai !
CREON __ Son poing de brute à toute volée dans le
visage de ton père ! C'était pitoyable. Ton père était assis
à sa table, la tête dans ses mains. Il saignait du nez. Il
pleurait. Et, dans un coin du bureau, Polynice, ricanant,
qui allumait une cigarette.
ANTIGONE, supplie presque maintenant. __ Ce n'est pas vrai !
CREON __ Rappelle-toi, tu avais douze ans. Vous ne
l'avez pas revu pendant longtemps. C'est vrai, cela ?
ANTIGONE, sourdement. __ Oui, c'est vrai.
CREON __ C'était après cette dispute. Ton père n'a pas
voulu le faire juger. Il s'est engagé dans l'armée argienne.
Et, dès qu'il a été chez les Argiens, la chasse à l'homme a
commencé contre ton père, contre ce vieil homme qui ne
se décidait pas à mourir, à lâcher son royaume. Les
attentats se succédaient et les tueurs que nous prenions
finissaient toujours par avouer qu'ils avaient reçu de
l'argent de lui. Pas seulement de lui, d'ailleurs. Car c'est
cela que je veux que tu saches, les coulisses de ce drame
où tu brûles de jouer un rôle, la cuisine. J'ai fait faire hier
des funérailles grandioses à Etéocle. Etéocle est un héros
et un saint pour Thèbes maintenant. Tout le peuple était
là. Les enfants des écoles ont donné tous les sous de leur
tirelire pour la couronne ; des vieillards, faussement émus,
ont magnifié, avec des trémolos dans la voix, le bon frère,
le fils d'Oedipe, le prince royal. Moi aussi, j'ai fait un
discours. Et tous les prêtres de Thèbes au grand complet,
avec la tête de circonstance. Et les honneurs militaires...
Il fallait bien. Tu penses que je ne pouvais tout de même
pas m'offrir le luxe d'une crapule dans les deux camps.
Mais je vais te dire quelque chose, à toi, quelque chose
que je sais seul, quelque chose d'effroyable : Etéocle, ce
prix de vertu, ne valait pas plus cher que Polynice. Le bon
fils avait essayé, lui aussi, de faire assassiner son père, le
prince loyal avait décidé, lui aussi, de vendre Thèbes au
plus offrant. Oui, crois-tu que c'est drôle ? Cette trahison
pour laquelle le corps de Polynice est en train de pourrir
au soleil, j'ai la preuve maintenant qu'Etéocle, qui dort
dans son tombeau de marbre, se préparait, lui aussi, à la
commettre. C'est un hasard si Polynice a réussi son coup
avant lui. Nous avions affaire à deux larrons en foire qui
se trompaient l'un l'autre en nous trompant et qui se sont
égorgés comme deux petits voyous qu'ils étaient, pour un
règlement de comptes... Seulement, il s'est trouvé que j'ai
eu besoin de faire un héros de l'un d'eux. Alors, j'ai fait
rechercher leurs cadavres au milieu des autres. On les a
retrouvés embrassés pour la première fois de leur vie sans
doute. Ils s'étaient embrochés mutuellement, et puis la
charge de la cavalerie argienne leur avait passé dessus. Ils
étaient en bouillie, Antigone, méconnaissables. J'ai fait
ramasser un des corps, le moins abîmé des deux, pour mes
funérailles nationales, et j'ai donné l'ordre de laisser
pourrir l'autre où il était. Je ne sais même pas lequel. Et je
t'assure que cela m'est bien égal.
Il y a un long silence, ils ne bougent pas, sans se
regarder, puis Antigone dit doucement :
ANTIGONE __ Pourquoi m'avez-vous raconté cela ?
Créon se lève, remet sa veste.
CREON __ Valait-il mieux te laisser mourir dans cette
pauvre histoire ?
ANTIGONE __ Peut-être. Moi, je croyais.
Il y a un silence encore. Créon s'approche d'elle.
CREON __ Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?
ANTIGONE, se lève comme une somnambule. __ Je vais
remonter dans ma chambre.
CREON __ Ne reste pas trop seule. Va voir Hémon, ce
matin. Marie-toi vite.
ANTIGONE, dans un souffle. __ Oui.
CREON __ Tu as toute ta vie devant toi. Notre discussion
était bien oiseuse, je t'assure. Tu as ce trésor, toi, encore.
ANTIGONE __ Oui.
CREON __ Rien d'autre ne compte. Et tu allais le
gaspiller! Je te comprends, j'aurais fait comme toi à vingt
ans. C'est pour cela que je buvais tes paroles. J'écoutais du
fond du temps un petit Créon maigre et pâle comme toi
et qui ne pensait qu'à tout donner lui aussi... Marie-toi
vite, Antigone, sois heureuse. La vie n'est pas ce que tu
crois. C'est une eau que les jeunes gens laissent couler
sans le savoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme tes mains,
ferme tes mains, vite. Retiens-la. Tu verras, cela deviendra
une petite chose dure et simple qu'on grignote, assis au
soleil. Ils te diront tout le contraire parce qu'ils ont besoin
de ta force et de ton élan. Ne les écoute pas. Ne m'écoute
pas quand je ferai mon prochain discours devant le
tombeau d'Etéocle. Ce ne sera pas vrai. Rien n'est vrai que
ce qu'on ne dit pas... Tu l'apprendras, toi aussi, trop tard,
la vie c'est un livre qu'on aime, c'est un enfant qui joue à
vos pieds, un outil qu'on tient bien dans sa main, un banc
pour se reposer le soir devant sa maison. Tu vas me
mépriser encore, mais de découvrir cela, tu verras, c'est la
consolation dérisoire de vieillir ; la vie, ce n'est peut-être
tout de même que le bonheur.
ANTIGONE, murmure, le regard perdu. __ Le bonheur...
CREON, a un peu honte soudain. __ Un pauvre mot, hein?
ANTIGONE __ Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle
femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone ?
Quelles pauvretés faudra-t-il qu'elle fasse elle aussi, jour
par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de
bonheur ? Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à
qui se vendre ? Qui devra-t-elle laisser mourir en
détournant le regard ?
CREON, hausse les épaules. __ Tu es folle, tais-toi.
ANTIGONE __ Non, je ne me tairai pas ! Je veux savoir
comment je m'y prendrais, moi aussi, pour être heureuse.
Tout de suite, puisque c'est tout de suite qu'il faut choisir.
Vous dites que c'est si beau, la vie. Je veux savoir
comment je m'y prendrai pour vivre.
CREON __ Tu aimes Hémon ?
ANTIGONE __ Oui, j'aime Hémon. J'aime un Hémon dur
et jeune ; un Hémon exigeant et fidèle, comme moi. Mais
si votre vie, votre bonheur doivent passer sur lui avec leur
usure, si Hémon ne doit plus pâlir quand je pâlis, s'il ne
doit plus me croire morte quand je suis en retard de cinq
minutes, s'il ne doit plus se sentir seul au monde et me
détester quand je ris sans qu'il sache pourquoi, s'il doit
devenir près de moi le monsieur Hémon, s'il doit appendre
à dire «oui», lui aussi, alors je n'aime plus Hémon.
CREON __ Tu ne sais plus ce que tu dis. Tais-toi.
ANTIGONE __ Si, je sais ce que je dis, mais c'est vous
qui ne m'entendez plus. Je vous parle de trop loin
maintenant, d'un royaume où vous ne pouvez plus entrer
avec vos rides, votre sagesse, votre ventre. (Elle rit.) Ah! je ris,Créon, je ris parce que je te vois à quinze ans, tout d'un coup ! C'est le même air d'impuissance et de croire qu'on peut tout. La vie t'a seulement ajouté ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi.
CREON, la secoue. __ Te tairas-tu, enfin ?
ANTIGONE __ Pourquoi veux-tu me faire taire ? Parce
que tu sais que j'ai raison ? Tu crois que je ne lis pas dans
tes yeux que tu le sais ? Tu sais que j'ai raison, mais tu ne
l'avoueras jamais parce que tu es en train de défendre ton
bonheur en ce moment comme un os.
CREON __ Le tien et le mien, oui, imbécile !
ANTIGONE __ Vous me dégoûtez tous, avec votre
bonheur ! Avec votre vie qu'il faut aimer coûte que coûte.
On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu'ils trouvent. Et
cette petite chance pour tous les jours, si on n'est pas trop
exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, -et que ce soit
entier- ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste,
moi, et me contenter d'un petit morceau si j'ai été bien
sage. Je veux être sûre de tout aujourd'hui et que cela soit
aussi beau que quand j'étais petite -ou mourir.
CREON __ Allez, commence, commence, comme ton père!
ANTIGONE __ Comme mon père, oui ! Nous sommes de
ceux qui posent les questions jusqu'au bout. Jusqu'à ce
qu'il ne reste vraiment plus la plus petite chance d'espoir
vivante, la plus petite chance d'espoir à étrangler. Nous
sommes de ceux qui lui sautent dessus quand ils le
rencontrent, votre espoir, votre cher espoir, votre sale espoir !
CREON __ Tais-toi ! Si tu te voyais en criant ces mots, tu es laide.
ANTIGONE __ Oui, je suis laide ! C'est ignoble, n'est-ce
pas, ces cris, ces sursauts, cette lutte de chiffonniers. Papa
n'est devenu beau qu'après, quand il a été bien sûr, enfin,
qu'il avait tué son père, que c'était bien avec sa mère qu'il
avait couché, et que rien, plus rien ne pouvait le sauver.
Alors, il s'est calmé tout d'un coup, il a eu comme un
sourire, et il est devenu beau. C'était fini. Il n'a plus eu
qu'à fermer les yeux pour ne plus vous voir. Ah ! vos têtes,
vos pauvres têtes de candidats au bonheur ! C'est vous qui
êtes laids, même les plus beaux. Vous avez tous quelque
chose de laid au coin de l'oeil ou de la bouche. Tu l'as
bien dit tout à l'heure, Créon, la cuisine. Vous avez des
têtes de cuisiniers !
CREON, lui broie le bras. __ Je t'ordonne de te taire
maintenant, tu entends ?
ANTIGONE __ Tu m'ordonnes, cuisinier ? Tu crois que
tu peux m'ordonner quelque chose ?
CREON __ L'antichambre est pleine de monde. Tu veux
donc te perdre ? On va t'entendre.
ANTIGONE __ Eh bien, ouvre les portes. Justement, ils vont m'entendre !
CREON, qui essaie de lui fermer la bouche de force. __
Vas-tu te faire, enfin, bon Dieu ?
ANTIGONE, se débat. __ Allons vite, cuisinier ! Appelle tes gardes !
La porte s'ouvre. Entre Ismène.
ISMENE, dans un cri. __ Antigone !
ANTIGONE __ Qu'est-ce que tu veux, toi aussi ?
ISMENE __ Antigone, pardon ! Antigone, tu vois, je
viens, j'ai du courage. J'irai maintenant avec toi.
ANTIGONE __ Où iras-tu avec moi ?
ISMENE __ Si vous la faites mourir, il faudra me faire
mourir avec elle !
ANTIGONE __ Ah ! non. Pas maintenant. Pas toi ! C'est
moi, c'est moi seule. Tu ne te figures pas que tu vas venir
mourir avec moi maintenant. Ce serait trop facile !
ISMENE __ Je ne veux pas vivre si tu meurs, je ne veux
pas rester sans toi !
ANTIGONE __ Tu as choisi la vie et moi la mort. Laisse-moi
maintenant avec tes jérémiades. Il fallait y aller ce
matin, à quatre pattes, dans la nuit. Il fallait aller gratter la
terre avec tes ongles pendant qu'ils étaient tout près et te
faire empoigner par eux comme une voleuse !
ISMENE __ He bien, j'irai demain !
ANTIGONE __ Tu l'entends, Créon ? Elle aussi. Qui sait
si cela ne va pas prendre à d'autres encore, en m'écoutant?
Qu'est-ce que tu attends pour me faire taire, qu'est-ce que
tu attends pour appeler tes gardes ? Allons, Créon, un peu
de courage, ce n'est qu'un mauvais moment à passer.
Allons, cuisinier, puisqu'il le faut !
CREON, crie soudain. __ Gardes !
Les gardes apparaissent aussitôt.
CREON __ Emmenez-la.
ANTIGONE, dans un grand cri soulagé. __ Enfin, Créon!
Les gardes se jettent sur elle et l'emmènent. Ismène sort
en criant derrière elle.
ISMENE __ Antigone ! Antigone !
Créon est resté seul, le choeur entre et va à lui.
LE CHOEUR __ Tu es fou, Créon. Qu'as-tu fait ?
CREON, qui regarde au loin devant lui. __ Il fallait qu'elle meure.
LE CHOEUR __ Ne laisse pas mourir Antigone, Créon !
Nous allons tous porter cette plaie au côté, pendant des siècles.
CREON __ C'est elle qui voulait mourir. Aucun de nous
n'était assez fort pour la décider à vivre. Je le comprends,
maintenant, Antigone était faite pour être morte. Elle-même
ne le savait peut-être pas, mais Polynice n'était
qu'un prétexte. Quand elle a dû y renoncer, elle a trouvé
autre chose tout de suite. Ce qui importait pour elle, c'était
de refuser et de mourir.
LE CHOEUR __ C'est une enfant, Créon.
CREON __ Que veux-tu que je fasse pour elle ? La
condamner à vivre ?
HEMON, entre en criant. __ Père !
CREON, court à lui, l'embrasse. __ Oublie-la, Hémon ;
oublie-la, mon petit.
HEMON __ Tu es fou, père. Lâche-moi.
CREON, le tient plus fort. __ J'ai tout essayé pour la
sauver, Hémon. J'ai tout essayé, je te le jure. Elle ne t'aime
pas. Elle aurait pu vivre. Elle a préféré sa folie et la mort.
HEMON, crie, tentant de s'arracher à son étreinte. __
Mais, père, tu vois bien qu'ils l'emmènent ! Père, ne laisse
pas ces hommes l'emmener !
CREON __ Elle a parlé maintenant. Tout Thèbes sait ce
qu'elle a fait. Je suis obligé de la faire mourir.
HEMON, s'arrache de ses bras. __ Lâche-moi !
Un silence. Ils sont l'un en face de l'autre. Ils se regardent.
LE CHOEUR, s'approche. __ Est-ce qu'on ne peut pas
imaginer quelque chose, dire qu'elle est folle, l'enfermer?
CREON __ Ils diront que ce n'est pas vrai. Que je la sauve
parce qu'elle allait être la femme de mon fils. Je ne peux pas.
LE CHOEUR __ Est-ce qu'on ne peut pas gagner du
temps, la faire fuir demain ?
CREON __ La foule sait déjà, elle hurle autour du palais.
je ne peux pas.
HEMON __ Père, la foule n'est rien. Tu es le maître.
CREON __ Je suis le maître avant la loi. Plus après.
HEMON __ Père, je suis ton fils, tu ne peux pas me la
laisser prendre.
CREON __ Si, Hémon. Si, mon petit. Du courage.
Antigone ne peut plus vivre. Antigone nous a déjà quittés tous.
HEMON __ Crois-tu que je pourrai vivre, moi, sans elle? Crois-tu que je l'accepterai, votre vie ? Et tous les jours,
depuis le matin jusqu'au soir, sans elle. Et votre agitation,
votre bavardage, votre vide, sans elle.
CREON __ Il faudra bien que tu acceptes, Hémon.
Chacun de nous a un jour, plus ou moins triste, plus ou
moins lointain, où il doit enfin accepter d'être un homme.
Pour toi, c'est aujourd'hui... Et te voilà devant moi avec
ces larmes au bord de tes yeux et ton coeur qui te fait mal
mon petit garçon, pour la dernière fois... Quand tu te seras
détourné, quand tu auras franchi ce seuil tout à l'heure, ce sera fini.
HEMON, recule un peu, et dit doucement. __ C'est déjà fini.
CREON __ Ne me juge pas, Hémon. Ne me juge pas, toi aussi.
HEMON, le regarde, et dit soudain. __ Cette grande force
et ce courage, ce dieu géant qui m'enlevait dans ses bras
et me sauvait des monstres et des ombres, c'était toi ?
Cette odeur défendue et ce bon pain du soir sous la lampe,
quand tu me montrais des livres dans ton bureau, c'était
toi, tu crois ?
CREON, humblement. __ Oui, Hémon.
HEMON. __ Tous ces soins, tout cet orgueil, tous ces
livres pleins de héros, c'était donc pour en arriver là ? Etre
un homme, comme tu dis, et trop heureux de vivre ?
CREON __ Oui, Hémon.
HEMON, crie soudain comme un enfant, se jetant dans
ses bras. __ Père, ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas toi, ce
n'est pas aujourd'hui ! Nous ne sommes pas tous les deux
au pied de ce mur où il faut seulement dire oui. Tu es
encore puissant, toi, comme lorsque j'étais petit. Ah ! je
t'en supplie, père, que je t'admire, que je t'admire encore
! Je suis trop seul et le monde est trop nu si je ne peux
plus t'admirer.
CREON, le détache de lui. __ On est tout seul, Hémon. Le
monde est nu. Et tu m'as admiré trop longtemps. Regarde-moi,
c'est cela devenir un homme, voir le visage de son
père en face, un jour.
HEMON, le regarde, puis recule en criant. __ Antigone! Antigone ! Au secours !
Il est sorti en courant.
LE CHOEUR, va à Créon. __ Créon, il est sorti comme un fou.
CREON, qui regarde au loin, droit devant lui, immobile. __ Oui. Pauvre petit, il l'aime.
LE CHOEUR __ Créon, il faut faire quelque chose.
CREON __ Je ne peux plus rien.
LE CHOEUR __ Il est parti, touché à mort.
CREON, sourdement. __ Oui, nous sommes tous touchés à mort.
Antigone entre dans la pièce, poussée par les gardes qui s'arc-boutent contre la porte, derrière laquelle on devine la foule hurlante.
LE GARDE __ Chef, ils envahissent le palais !
ANTIGONE __ Créon, je ne veux plus voir leurs visages,
je ne veux plus entendre leurs cris, je ne veux plus voir
personne ! Tu as ma mort maintenant, c'est assez. Fais que
je ne voie plus personne jusqu'à ce que ce soit fini.
CREON, sort en criant aux gardes. __ La garde aux
portes! Qu'on vide le palais ! Reste ici avec elle, toi.
Les deux autres gardes sortent, suivis par le choeur.
Antigone reste seule avec le premier garde. Antigone le regarde.
ANTIGONE, dit soudain. __ Alors, c'est toi ?
LE GARDE __ Qui, moi ?
ANTIGONE __ Mon dernier visage d'homme.
LE GARDE __ Faut croire.
ANTIGONE __ Que je te regarde...
LE GARDE s'éloigne, gêné. __ Ça va.
ANTIGONE __ C'est toi qui m'as arrêtée, tout à l'heure ?
LE GARDE __ Oui, c'est moi.
ANTIGONE __ Tu m'as fait mal. Tu n'avais pas besoin de
me faire mal. Est-ce que j'avais l'air de vouloir me sauver?
LE GARDE __ Allez. allez, pas d'histoires ! Si ce n'était
pas vous, c'était moi qui y passais.
ANTIGONE __ Quel ââge as-tu ?
LE GARDE __ Trente-neuf ans.
ANTIGONE __ Tu as des enfants ?
LE GARDE __ Oui, deux.
ANTIGONE __ Tu les aimes ?
LE GARDE __ Cela ne vous regarde pas.
Il commence à faire les cent pas dans la pièce : pendant
un moment on n'entend plus que le bruit de ses pas.
ANTIGONE, demande tout humble. __ Il y a longtemps
que vous êtes garde ?
LE GARDE __ Après la guerre. J'étais sergent. J'ai rengagé.
ANTIGONE __ Il faut être sergent pour être garde ?
LE GARDE __ En principe, oui. Sergent ou avoir suivi le
peloton spécial. Devenu garde, le sergent perd son grade.
Un exemple : je rencontre une recrue de l'armée, elle ne
peut pas me saluer.
ANTIGONE __ Ah oui ?
LE GARDE __ Oui. Remarquez que, généralement, elle le
fait. La recrue sait que le garde est un gradé. Question
solde : on a la solde ordinaire du garde, comme ceux du
peloton spécial, et, pendant six mois, à titre de
gratification, un rappel de supplément de la solde de
sergent. Seulement, comme gardes, on a d'autres
avantages. Logement, chauffage, allocations. Finalement,
le garde marié avec deux enfants arrive à se faire plus que
le sergent de l'active.
ANTIGONE __ Ah oui ?
LE GARDE __ Oui. C'est ce qui vous explique la rivalité
entre le garde et le sergent. Vous avez peut-être pu
remarquer que le sergent affecte de mépriser le garde.
Leur grand argument, c'est l'avancement. D'un sens, c'est
juste. L'avancement du garde est plus lent et plus difficile
que dans l'armée. Mais vous ne devez pas oublier qu'un
brigadier des gardes, c'est autre chose qu'un sergent chef.
ANTIGONE, lui dit soudain. __ Ecoute...
LE GARDE __ Oui.
ANTIGONE __ Je vais mourir tout à l'heure.
Le garde ne répond pas. Un silence. Il fait les cent pas.
Au bout d'un moment, il reprend.
LE GARDE __ D'un autre côté, on a plus de considération
pour le garde que pour le sergent de l'active. Le garde,
c'est un soldat, mais c'est presque un fonctionnaire.
ANTIGONE __ Tu crois qu'on a mal pour mourir ?
LE GARDE __ Je ne peux pas vous dire. Pendant la
guerre, ceux qui étaient touchés au ventre, ils avaient mal.
Moi, je n'ai pas été blessé. Et, d'un sens, ça m'a nui pour l'avancement.
ANTIGONE __ Comment vont-ils me faire mourir ?
LE GARDE __ Je ne sais pas. Je crois que j'ai entendu
dire que pour ne pas souiller la ville de votre sang, ils
allaient vous murer dans un trou.
ANTIGONE __ Vivante ?
LE GARDE __ Oui, d'abord.
Un silence. Le garde se fait une chique.
ANTIGONE __ O tombeau ! O lit nuptial ! O ma demeure
souterraine ! ... (Elle est toute petite au milieu de la
grande pièce nue. On dirait qu'elle a un peu froid. Elle
s'entoure de ses bras. Elle murmure.) Toute seule...
LE GARDE qui a fini sa chique. __ Aux cavernes de
Hadès, aux portes de la ville. En plein soleil. Une drôle de
corvée encore pour ceux qui seront de faction. Il avait
d'abord été question d'y mettre l'armée. Mais, aux
dernières nouvelles, il paraît que c'est encore la garde qui
fournira les piquets. Elle a bon dos, la garde ! Etonnez-vous
après qu'il existe une jalousie entre le garde et le sergent d'active...
ANTIGONE, murmure, soudain lasse. __ Deux bêtes...
LE GARDE __ Quoi, deux bêtes ?
ANTIGONE __ Des bêtes se serreraient l'une contre
l'autre pour se faire chaud. Je suis toute seule.
LE GARDE __ Si vous avez besoin de quelque chose,
c'est différent. Je peux appeler.
ANTIGONE __ Non. Je voudrais seulement que tu
remettes une lettre à quelqu'un quand je serai morte.
LE GARDE __ Comment ça, une lettre ?
ANTIGONE __ Une lettre que j'écrirai.
LE GARDE __ Ah ! ça non ! Pas d'histoires ! Une lettre !
Comme vous y allez, vous ! Je risquerais gros, moi, à ce petit jeu-là !
ANTIGONE __ Je te donnerai cet anneau si tu acceptes.
LE GARDE __ C'est de l'or ?
ANTIGONE __ Oui. C'est de l'or.
LE GARDE __ Vous comprenez, si on me fouille, moi,
c'est le conseil de guerre. Cela vous est égal, à vous ? (Il
regarde encore la bague.) Ce que je peux, si vous voulez,
c'est écrire sur mon carnet ce que vous auriez voulu dire.
Après, j'arracherai la page. De mon écriture, ce n'est pas pareil.
ANTIGONE, a les yeux fermés : elle murmure avec un
pauvre rictus. __ Ton écriture...(Elle a un petit frisson.)
C'est trop laid, tout cela, tout est trop laid.
LE GARDE vexé, fait mine de rendre la bague. __ Vous
savez, si vous ne voulez pas, moi...
ANTIGONE __ Si. Garde la bague et écris. Mais fais
vite... J'ai peur que nous n'ayons plus le temps... Ecris : «Mon chéri... »
LE GARDE qui a pris son carnet et suce sa mine. __
C'est pour votre bon ami ?
ANTIGONE __ Mon chéri, j'ai voulu mourir et tu ne vas
peut-être plus m'aimer...
LE GARDE répète lentement de sa grosse voix en
écrivant. __ « Mon chéri, j'ai voulu mourir et tu ne vas
peut-être plus m'aimer... »
ANTIGONE __ Et Créon avait raison, c'est terrible,
maintenant, à côté de cet homme, je ne sais plus pourquoi
je meurs. J'ai peur...
LE GARDE qui peine sur sa dictée. __ « Créon avait
raison, c'est terrible... »
ANTIGONE __ Oh ! Hémon, notre petit garçon. Je le
comprends seulement maintenant combien c'était simple de vivre...
LE GARDE s'arrête. __ Eh ! Dites, vous allez trop vite.
Comment voulez-vous que j'écrive ? Il faut le temps tout de même...
ANTIGONE __ Où en étais-tu ?
LE GARDE se relit. __ « C'est terrible maintenant à côté de cet homme... »
ANTIGONE __ Je ne sais plus pourquoi je meurs.
LE GARDE écrit, suçant sa mine. __ « Je ne sais plus
pourquoi je meurs... » On ne sait jamais pourquoi on meurt.
ANTIGONE, continue. __ J'ai peur... (Elle s'arrête. Elle
se dresse soudain.) Non. Raye tout cela. Il vaut mieux que
jamais personne ne le sache. C'est comme s'ils devaient
me voir nue et me toucher quand je serais morte. Mets
seulement : « Pardon. »
LE GARDE __ Alors, je raye la fin et je mets pardon à la place ?
ANTIGONE __ Oui. Pardon, mon chéri. Sans la petite
Antigone, vous auriez tous été bien tranquilles. Je t'aime...
LE GARDE __ « Sans la petite Antigone, vous auriez
tous été bien tranquilles. Je t'aime... » C'est tout ?
ANTIGONE __ Oui, c'est tout.
LE GARDE __ C'est une drôle de lettre.
ANTIGONE __ Oui, c'est une drôle de lettre.
LE GARDE __ Et c'est à qui qu'elle est adressée ?
A ce moment, la porte s'ouvre. Les autres gardes
paraissent. Antigone se lève, les regarde, regarde le
premier garde qui s'est dressé derrière elle ; il empoche
la bague et range le carnet, l'air important... Il voit le
regard d'Antigone. Il gueule pour se donner une contenance.
LE GARDE __ Allez ! Pas d'histoires !
Antigone a un pauvre sourire. Elle baisse la tête. Elle
s'en va sans un mot vers les autres gardes. Ils sortent tous.
LE CHOEUR, entre soudain. __ Là ! C'est fini pour
Antigone. Maintenant, le tour de Créon approche. Il va
falloir qu'ils y passent tous.
LE MESSAGER fait irruption, criant. __ La reine ? où est la reine ?
LE CHOEUR __ Que lui veux-tu ? Qu'as-tu à lui apprendre ?
LE MESSAGER __ Une terrible nouvelle. On venait de
jeter Antigone dans son trou. On n'avait pas encore fini de
rouler les derniers blocs de pierre lorsque Créon et tous
ceux qui l'entourent entendent des plaintes qui sortent
soudain du tombeau. Chacun se tait et écoute, car ce n'est
pas la voix d'Antigone. C'est une plainte nouvelle qui sort
des profondeurs du trou... Tous regardent Créon, et lui,
qui a deviné le premier, lui qui sait déjà avant tous les
autres, hurle soudain comme un fou : «Enlevez les
pierres ! Enlevez les pierres ! »Les esclaves se jettent sur
les blocs entassés et, parmi eux, le roi suant, dont les
mains saignent. Les pierres bougent enfin et le plus mince
se glisse dans l'ouverture. Antigone est au fond de la
tombe pendue aux fils de sa ceinture, des fils bleus, des
fils verts, des fils rouges qui lui font comme un collier
d'enfant, et Hémon à genoux qui la tient dans ses bras et
gémit, le visage enfoui dans sa robe. On bouge un bloc
encore et Créon peut enfin descendre. On voit ses cheveux
blancs dans l'ombre, au fond du trou. Il essaie de relever
Hémon, il le supplie. Hémon ne l'entend pas. Puis soudain
il se dresse, les yeux noirs, et il n'a jamais tant ressemblé
au petit garçon d'autrefois, il regarde son père sans rien
dire, une minute, et, tout à coup, il lui crache au visage, et
tire son épée. Créon a bondi hors de portée. Alors Hémon
le regarde avec ses yeux d'enfant, lourds de mépris, et
Créon ne peut pas éviter ce regard comme la lame. Hémon
regarde ce vieil homme tremblant à l'autre bout de la
caverne, et, sans rien dire, il se plonge l'épée dans le
ventre et il s'étend contre Antigone, l'embrassant dans une
immense flaque rouge.
CREON, entre avec son page. __ Je les ai fait coucher l'un
près de l'autre, enfin ! Ils sont lavés, maintenant, reposés.
Ils sont seulement un peu pâles, mais si calmes. Deux
amants au lendemain de la première nuit. Ils ont fini, eux.
LE CHOEUR __ Pas toi, Créon. Il te reste encore quelque
chose à apprendre. Eurydice, la reine, ta femme...
CREON __ Une bonne femme parlant toujours de son
jardin, de ses confitures, de ses tricots, de ses éternels
tricots pour les pauvres. C'est drôle comme les pauvres
ont éternellement besoin de tricots. On dirait qu'ils n'ont
besoin que de tricots...
LE CHOEUR __ Les pauvres de Thèbes auront froid, cet
hiver, Créon. En apprenant la mort de son fils, la reine a
posé ses aiguilles, sagement, après avoir terminé son rang,
posément, comme tout ce qu'elle fait, un peu plus
tranquillement peut-être que d'habitude. Et puis elle est
passée dans sa chambre, sa chambre à l'odeur de lavande,
aux petits napperons brodés et aux cadres de peluche,
pour s'y couper la gorge, Créon. Elle est étendue
maintenant sur un des petits lits jumeaux démodés, à la
même place où tu l'as vue jeune fille un soir, et avec le
même sourire, à peine un peu plus triste. Et s'il n'y avait
pas cette large tache rouge sur les linges autour de son
cou, on pourrait croire qu'elle dort.
CREON __ Elle aussi. Ils dorment tous. C'est bien. La
journée a été rude. (Un temps. Il dit sourdement) Cela doit
être bon de dormir.
LE CHOEUR __ Et tu es tout seul maintenant, Créon
CREON __ Tout seul, oui. (Un silence. Il pose sa main
sur l'épaule de son page.) Petit...
LE PAGE __ Monsieur ?
CREON __ Je vais te dire, à toi. Ils ne savent pas, les
autres ; on est là, devant l'ouvrage, on ne peut pourtant
pas se croiser les bras. Ils disent que c'est une sale
besogne, mais si on ne la fait pas, qui la fera ?
LE PAGE __ Je ne sais pas, monsieur.
CREON __ Bien sûr, tu ne sais pas. Tu en as de la chance!
Ce qu'il faudrait, c'est ne jamais savoir. Il te tarde d'être grand, toi ?
LE PAGE __ Oh oui, monsieur !
CREON __ Tu es fou, petit. Il faudrait ne jamais devenir grand.
(L'heure sonne au loin, il murmure.) Cinq heures. Qu'est-ce
que nous avons aujourd'hui, à cinq heures ?
LE PAGE __ Conseil, monsieur.
CREON __ Eh bien, si nous avons conseil, petit, nous allons y aller.
Ils sortent, Créon s'appuyant sur le page.
LE CHOEUR, s'avance. __ Et voilà. Sans la petite
Antigone, c'est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles.
Mais maintenant, c'est fini. Ils sont tout de même
tranquilles. Tous ceux qui avaient à mourir sont morts.
Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient
le contraire même ceux qui ne croyaient rien et qui se sont
trouvés pris dans l'histoire sans y rien comprendre. Morts
pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et
ceux qui vivent encore vont commencer tout doucement
à les oublier et à confondre leurs noms. C'est fini.
Antigone est calmée, maintenant, nous ne saurons jamais
de quelle fièvre. Son devoir lui est remis. Un grand
apaisement triste tombe sur Thèbes et sur le palais vide où
Créon va commencer à attendre la mort.
Pendant qu'il parlait, les gardes sont entrés. Ils se sont
installés sur un banc, leur litre de rouge à côté d'eux,
leur chapeau sur la nuque, et ils ont commencé une
partie de cartes.
LE CHOEUR __ Il ne reste plus que les gardes. Eux, tout
ça, cela leur est égal ; c'est pas leurs oignons. Ils
continuent à jouer aux cartes...
Le rideau tombe rapidement pendant que les gardes abattent leurs atouts.
la description dans le roman de Sefrioui
Le 06/01/2010
Dans le roman de Sefrioui, le narrateur décrit plusieurs éléments : il y a d’un côté les lieux et de l’autre les personnages sans oublier les objets.
Les lieux :
- La maison de la voyante : 4
- Le bain maure : 8
- Sidi Ali Boughaleb : 26
- Le msid : 99 - 152
- La maison de Lalla Aicha : 56 – 197
- La kissaria : 107
- La maison de Rahma : 112
- Les souks : 128 - 161
-
Les portraits :
- Si Mohammed : 3 – 6 – 7 – 8 – 20 – 22 – 24 - 40 – 113 – 129 – 132 – 158…
- Lalla zoubida : 16 – 17 – 18 – 58 – 81 – 170 …
- Maalem Abdeslem : 16 – 36 – 58 – 67 – 128 – 129 – 170 – 178 – 182…
- Lalla Aicha : 23 – 56 – 82 – 132 – 196…
- Moulay Larbi Alaoui : 82 – 132 …
- Fatma Bziouya : 61 – 80…
- Rahma : 61 – 112 – 159 – 242…
- Zineb : 5 – 71 …
- Kenza : 4 – 30 – 62 …
- Fqih du msid : 8 – 145 …
- Abdallah l’épicier : 72
- Sidi Mohammed ben Tahar : 84
- L’Oncle OThman : 116
- Sidi el Arafi : 202/ sa femme : 203
- Salama : 224 – 225 – 226
- Zhor : 235 – 241
- La fille du coiffeur : 236 – 237
(…)
Les objets :
- la boîte (voir activité orale)
- le bâton du fqih du msid : 78
- la jarre d’eau portable en terre poreuse : 193
- le panier de Si El Arafi : 204