"Salama ne daigna pas jeter un regard sur ma modeste personne. Je devais lui paraître ridiculement petit, ridiculement chétif. Salama appartenait à cette race disparue qui a donné naissance à la légende des géants. Elle avança d’un pas majestueux vers le grand divan, s’installa à la place d’honneur. Le buste droit, les mains à plat sur ses genoux, elle resta muette, statique comme un bloc de granit. Pas un muscle de son visage ne bougeait; ses yeux seuls se posaient avec lenteur sur chaque objet. J’en avais vaguement peur. Elle m’attirait à la fois et me mettait mal à l’aise. Pelotonné contre un coussin, j’attendais qu’elle parlât. Ses grosses lèvres que surmontait une légère moustache bougèrent imperceptiblement. Aucun son n’en sortit. Le désir de l’entendre parler me faisait trembler. Je ne me rendais même plus compte si ma mère et Lalla Aicha se taisaient ou bavardaient comme de coutume. Elle ferma les yeux, les rouvrit et de sa voix d’homme déclara qu’après le thé, elle aurait tout le temps d’entretenir ses petites sœurs des événements qui se préparaient."